Livre-objet

Le design à quatre mains

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 2003 - 562 mots

Ronan et Erwan Bouroullec, deux designers phares de la scène française actuelle,
publient aujourd’hui un ouvrage chez Phaidon. Plus qu’un livre, un miroir.

Ceci n’est pas un livre. Du moins pas au sens où on l’entend habituellement, car cet ouvrage intitulé Ronan et Erwan Bouroullec, par eux-mêmes, a été imaginé comme… un objet ou un meuble. Les deux frères en ont déterminé l’aspect et composé les pages une à une, avec l’aide de deux jeunes graphistes issus de l’École cantonale d’art de Lausanne. Ils ont, en outre, réalisé certaines photographies – leur propre atelier, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), a servi de studio –, et aussi, écrit plusieurs textes, dont cette description d’un vase, tirée du chapitre « Une nature morte » : « Comme dans la statuaire religieuse, le vase forme un cadre où tout est contrôlé : le fond, la lumière, la couleur. Alors, voir une fleur, presque déifiée, la voir parfaitement et ne voir qu’elle. » Si la plume se veut, par moments, lyrique, l’ouvrage, en son entier, est séduisant. De leurs premiers projets (« Le début ») aux plans tirés sur la comète (« Des périphériques », « Des cailloux »), il retrace, en 17 chapitres, le parcours bref – six ans – et pourtant déjà significatif de ce duo de designers qui cosignent désormais tous leurs projets, y compris ceux que l’aîné – Ronan, 32 ans – a créé seul, quelques années avant la montée en puissance du cadet – Erwan, 27 ans.
À en croire The Bouroullec Factory, dessin en couleur qui s’étale pages 114 et 115, toute réflexion, chez les Bouroullec, ne peut s’engager sans un indispensable cocktail : du café, des cigarettes et des crayons à papier, par dizaines. Ces derniers serviront à remplir moult carnets de croquis dans lesquels se côtoient des dessins à toutes les échelles, projets en voie d’achèvement ou à peine esquissés. Avec des mots simples, souvent complétés par des photos significatives, Ronan et Erwan Bouroullec racontent la manière dont ils travaillent ensemble (« Des gabarits »), ainsi que les relations diverses qu’ils ont avec « celui qui fabrique », qu’il s’agisse d’un petit céramiste à Vallauris (« Un atelier »), ou d’une grande firme internationale de mobilier (« Des usines »). Par ailleurs, ils détaillent clairement la genèse des projets et leur fonctionnement. Exemple : la conception et le mode d’emploi des « Cinq assises » du chapitre éponyme, tel le fauteuil Outdoor ou le lit de repos Safe Rest, sont limpides. Il suffit ainsi de lire la description du fauteuil Samouraï puis de regarder la photo dudit siège démonté pour comprendre comment celui-ci est réalisé. Ou de constater, à la vue de l’appui-tête du fauteuil Spring et de la peinture de carrosserie de la chaise Hole, que l’industrie automobile semble être une de leurs sources d’inspiration favorites.
Tout est montré et expliqué simplement, sans fioritures. À l’image, d’ailleurs, de leurs créations : « Unifier, pour rendre l’objet plus simple au regard, pour gommer les détails », écrivent-ils au chapitre « Un monochrome ». De même ont-ils conçu ce livre, pour lequel ils ont inventé la police de caractères, pour l’heure baptisée « Bouroullec ». Des lettres dont les angles sont arrondis et qui arborent une allure à la fois évidente et réservée. Ainsi sont-ils.

Ronan et Erwan Bouroullec, éd. Phaidon, 2003, 208 pages, env. 300 ill. coul., 49,95 euros. ISBN 071-4893625

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : Le design à quatre mains

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