Revue des grands projets architecturaux de ce dernier siècle, fruit d’une collaboration souvent houleuse entre artistes et architectes.
Vu la quantité d’ouvrages qui paraît chaque année, il nous arrive parfois de délaisser, non par inadvertance mais faute de place, des ouvrages incontournables. Art Architecture en est un. Ce livre explore, du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, une sélection de projets qui ont résulté d’une collaboration entre des artistes et des architectes. À l’instar du critique d’art britannique John Ruskin et de son célèbre Sept lampes de l’architecture, l’auteur, l’Américain Christian Bjone, cisèle sa démonstration en sept temps englobant les situations majeures : l’art cadré par l’architecture, l’art en opposition à l’architecture, l’art et l’architecture avec un motif commun, l’architecture s’appropriant les formes de l’art, l’art dupliquant l’échelle de l’architecture, l’art singulier en son temple, enfin, l’art en conflit avec l’architecture.
Au fil des pages, on découvre que les relations entre artistes et architectes sont loin d’être un long fleuve tranquille. Au contraire, les efforts communs des uns et des autres à œuvrer de conserve ont souvent pour origine le conflit, ce qu’en langage diplomatique on appelle « tension ou friction productive ». Selon Christian Bjone, l’un des exemples les plus emblématiques est celui du siège de l’Unesco édifié à Paris, en 1957, par les architectes Marcel Breuer et Bernard Zehrfuss, avec l’ingénieur Pier Luigi Nervi : « C’est une parfaite illustration de la série de connexions et de compromis entre l’art moderne et l’architecture moderne. » En un seul et même lieu, on retrouve, à l’époque, tous les ingrédients d’une coopération idéale entre artistes et architectes : une institution internationale socialement progressive, un programme spécifique d’intentions, une liste de créateurs doués, un budget généreux et une audience réceptive. Au départ, donc, une conjonction de signes encourageants. Or, si, dans la cour intérieure, la majestueuse sculpture de Henry Moore dialogue avec l’échelle du bâtiment et joue, en quelque sorte, le rôle des statues jadis disposées devant les bâtiments néoclassiques, Christian Bjone estime, en revanche, que « la plupart des autres contributions d’artistes échouent visuellement parce que le vocabulaire de l’artiste ne s’engage d’aucune façon avec le bâtiment que par simple contraste ». Et l’auteur de mettre dans le même sac la fresque du hall de conférence La Chute d’Icare de Pablo Picasso, deux céramiques murales extérieures de Juan Miró, un bronze de Jean Arp, un mobile extérieur de Calder… Bref, toutes ces œuvres sont, selon lui, déconnectées d’un bâtiment de béton brut, dont l’architecte Breuer a privilégié la force esthétique et la beauté plastique.
De l’art ou de la sculpture ?
Le livre décortique ainsi une multitude d’approches : de l’incroyable Sommerfeld House de Walter Gropius (Berlin, 1920), avec ses vitraux de Josef Albers et un splendide escalier au garde-corps sculpté par Joost Schmidt, jusqu’à la National Opera House de l’agence norvégienne Snøhetta, à Oslo (Norvège, 2008), et son hall d’entrée habillé par le Danois Olafur Eliasson d’une installation à motifs géométrico-psychédéliques, en passant par la bibliothèque de l’université des sciences appliquées d’Eberswalde (Allemagne, 2004), réalisée par le duo helvète Jacques Herzog et Pierre de Meuron, dont la façade est constituée d’une myriade de panneaux sérigraphiés de l’Allemand Thomas Ruff.
Défilent une série d’édifices, publics ou privés, pavillons d’expositions, musées, voire églises – telle Notre-Dame-de-Toute-Grâce de l’architecte Maurice Novarina, plantée sur le plateau d’Assy (France, 1950), avec mosaïque murale de Fernand Léger, tapisserie de Jean Lurçat, carrelages peints de Matisse… –, et autant de projets d’artistes, éphémères ou pas. L’auteur décrypte avec force détails la relation entre l’architecte Tadao Ando et l’artiste Walter De Maria pour loger son installation au cœur du Chichu Art Museum, sur l’île de Naoshima (Japon, 2004). Idem avec celle, encore à l’ordre du jour, entre Renzo Piano et Jeff Koons pour l’intégration, prévue pour 2011, de sa pièce Train au Los Angeles County Museum of Art (États-Unis, 2009). Certains bâtiments, en revanche, posent question, tel le Musée Guggenheim, à Bilbao (Espagne), conçu, en 1997, par Frank Gehry : est-ce encore de l’architecture ou bien déjà de la sculpture ? Le sculpteur américain Richard Serra – lequel est exposé dans le musée suscité – est, lui, on ne peut plus tranchant : « J’ose espérer que les architectes puissent accepter le fait qu’ils sont des architectes et arrêter de flirter avec la notion d’être à la fois des artistes et des architectes. » Dont acte !
Version anglaise, éd. Birkhaüser, 2009, 192 p., 350 ill., 60 euros, ISBN 978-3-7643-9943-6
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L’art dans l’architecture et vice-versa
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : L’art dans l’architecture et vice-versa