Présenté au Festival de Venise à la fin de l’été 2020, ce film a été commencé cinq ans plus tôt. Il est pourtant d’une brûlante actualité.
C’est en 2015 que la jeune réalisatrice Azra Deniz Okyay a entamé l’écriture du scénario des Fantômes d’Istanbul, une histoire se déroulant dans un futur très proche et dans les décors déglingués de la mégalopole turque. Par les méandres complexes de la distribution, son film ne nous parvient qu’aujourd’hui et, de façon troublante, ce futur inventé par la cinéaste est devenu notre passé et l’avenir esquissé par le film reste à refaire. Azra Deniz Okyay nous invite à suivre plusieurs personnages dans une ville au bord du chaos et sous le joug d’un État conservateur ultra-autoritaire. Au hasard de ses errances, Dilem, danseuse de hip-hop, va croiser un magouilleur qui œuvre dans la drogue et les arnaques immobilières, une mère dont le fils est en prison et Ela, une artiste féministe engagée. Pendant ce temps, des pannes d’électricité plongent Istanbul dans le noir. « En 2015, se souvient Azra Deniz Okyay, 70 villes ont été privées d’électricité pendant plusieurs heures. J’ai utilisé ce ressort telle une métaphore. Comme dans la vraie vie, mes personnages vont échapper à l’obscurité et en devenir encore plus créatifs. » Tourné en décors réels, Les Fantômes d’Istanbul capte des ruines spectaculaires, squats, lieux de destruction où se rassemblent les artistes qui aspirent à créer. « Au nom de la Nouvelle Turquie, les politiques ont commencé à détruire tout ce qui est un peu vieux au lieu de le restaurer. La Turquie est devenue un amas de constructions moches, sans identité culturelle. Je voulais filmer cette fragilité, et j’ai écrit le film comme si je devais faire des photos, comme une photographe de guerre… que je suis devenue en quelque sorte. » Ces visions de naufrage portent aussi en elles les germes d’une reconstruction, et le film ne cesse de vaciller du désespoir à l’énergie. « Aujourd’hui, mes amis, mon entourage et moi-même nous sentons comme en cage. Mais nous allons continuer à contourner les barreaux. Artistes ou scientifiques, nous sommes là pour faire évoluer la société vers une vie meilleure. Les limites imposées à notre liberté sont constamment redéfinies, mais l’art aussi change de forme. Et, si mon monde à moi n’existe plus, je ferai ma place en le recréant », conclut la cinéaste. Ainsi travaillent les fantômes, refusant de mourir, à jamais insaisissables.
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La Turquie entre ruines et espoir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°767 du 1 septembre 2023, avec le titre suivant : La Turquie entre ruines et espoir