Un vent de nouveauté souffle avec « France Culture Papiers », première « radio à lire », un projet à la fois atypique et hybride.
Voilà un an à la fin février, « France Culture Papiers » voyait le jour. Avec 5 numéros au compteur, le magazine persiste et signe, à raison de 20 000 exemplaires vendus par trimestre. Son concept ? lire France Culture. En d’autres termes, troquer ses oreilles pour ses yeux, et se plonger dans des émissions radio retranscrites ici sur papier. Soit un magazine/livre de près de 200 pages, trimestriel, traitant de sujets variés (culturels, scientifiques, artistiques et politiques), agrémentés d’une introduction, d’annotations, d’illustrations et de photographies de qualité, dans une mise en page aérée. Le choix est opéré parmi 110 émissions ayant réuni 3 500 invités, ou 2 000 heures d’écoute parmi lesquelles Jean-Michel Djian, le rédacteur en chef, entouré d’un comité éditorial issu des équipes de Bayard Éditions et France Culture, pioche ses sujets.
L’initiative a été remarquée lors des Trophées de l’Innovation Presse 2012, où, neuf mois après sa naissance, cet ovni a été couronné de deux prix (innovation éditoriale et presse). Belle idée donc. Mais quelle plus-value apporte-t-elle ? Faire la promotion de l’antenne et toucher d’autres publics ? Un peu, nécessairement, notamment avec des émissions diffusées en avant-première sur la version papier, ainsi que des entretiens/portraits de producteurs. Mais au-delà, il faut reconnaître à la radio France Culture ses qualités singulières : un contenu riche, original, une parole et une écoute valorisées, du temps, des invités prestigieux, un amour de la langue, un propos, un savoir, une réflexion. Un cadre aussi, propre au médium, qui favorise une intimité et donc une parole, peu voire pas entendue. Et de la spontanéité. C’est pourquoi immortaliser sur papier ces pensées de notre temps présente un intérêt indéniable. Ceci sans porter ombrage au podcast (possible pendant un an). Cependant, la transposition se prête-t-elle à toutes les formes radiophoniques ?
L’entretien et le débat
Dans le numéro 4 (hiver 2012), un entretien avec l’architecte suisse Peter Zumthor était retranscrit, agrémenté de croquis signés de la main du producteur de « Métropolitains », François Chaslin. L’entretien est à écouter et lire religieusement, tout comme le débat sur les œuvres censurées de Picasso dans l’émission « Les grandes traversées », illustré d’une photo du peintre et de dessins. Ce débat réunissait l’avocat et essayiste Emmanuel Pierrat, l’écrivain et plasticien Jean-Jacques Lebel, et l’historienne de l’art Dominique Dupuis-Labbé.
Entretien et débat sont des formes qui passent bien de la radio à l’écrit, même si on peut regretter ici l’absence de références d’ouvrages signés des intervenants. Dans le numéro 5 (printemps 2013), fraîchement paru, l’architecture de Moscou y est traitée sur 19 pages, à travers 13 artistes et créateurs (émission « Villes-Monde »). Chacun se prêtant, par touches impressionnistes, au jeu du micro tenu par Alexis Ipatovtsev. La ville y est définie comme grise, grosse et grossissante, circulaire, embouteillée, polluée, bruyante, peuplée de « fantômes », avec nombre d’immeubles. Et perçue comme « un monstre cauchemardesque » par l’écrivaine Lioudmila Oulitskaïa. Le centre de Moscou a été en partie brûlé par Napoléon, avant que maisons et hôtels ne soient transformés en appartements communautaires, tandis que Staline détruit les habitations en bois des grands axes et fait construire, par des prisonniers de guerre et de goulags, sept immenses gratte-ciel. Spécialiste de l’architecture et écrivain, Rustan Ermatouline évoque un patrimoine architectural détruit sans états d’âme : « Le Moscovite moyen n’a pas la culture du regard, ni l’expérience de l’observation. » Dans le centre ouest, une ville nouvelle, Moskva City, peuplée de grandes tours en verre, a poussé. Elle rappelle les centres urbains américains. Un Moscou « très chic, mais d’une manière pauvre et vulgaire », selon l’écrivain Victor Erofeyev, dont la ville ne dénombre qu’une quarantaine de galeries, souvent cachées dans des cours. Pour Ekaterina Iragui, galeriste d’art contemporain, « le système n’est pas encore installé. Tout est possible ». Tandis que le peintre Gosha Ostretsov regrette que « la société ne soit pas ouverte pour les artistes ». À la lecture de ce riche portrait urbain, rythmé par un patchwork d’impressions, puis à l’écoute de la même émission (diffusée en deux parties les 31 mars et 7 avril à 15 heures), il apparaît que certains passages sont reformulés pour se prêter à la forme papier. On peut déplorer en revanche la suppression d’interventions du journaliste et d’interlocuteurs pourtant riches en informations.
Mais si la forme papier contribue à une meilleure « écoute » des propos, les amoureux de la radio trouveront que celle du reportage, amputé de ses ambiances et accents, est dépossédée d’une matière participant au ressenti de la ville. Et ce, malgré les photos, cependant un peu esthétisantes, de Gueorgui Pinkhassov (agence Magnum). Indéniablement, chaque support détient ses qualités propres, qui se complètent. Et à chacun, sa raison d’être.
France Culture Papiers, n° 5, printemps 2013, éd. Bayard, 192 pages, 14,90 €. Sortie le 28 février (trimestriel). En vente en librairie, kiosque et sur abonnement. Les anciens numéros sont disponibles sur FranceCulturePapiers.fr
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La radio sous presse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : La radio sous presse