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La poésie et ses images

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 septembre 2023 - 313 mots

Poétesse majeure, Emily Dickinson (1830-1886) passa sa vie recluse dans la ville d’Amherst, non loin de Boston.

Elle ne voyagea pas et ne sortait guère : la poésie, dont elle bouscula les normes, lui permit seule de fréquenter l’Ailleurs et d’accéder à l’Inconnu, de parcourir l’orbe du Mystère. À force de majuscules impromptues, de tirets incongrus et d’images indélébiles, Dickinson composa une œuvre parfaitement unique, riche de 1 789 poèmes, pareils à de longs haïkus convoquant la mer et la mort, l’abeille et le papillon, l’imperceptible et l’immensité. Le présent ouvrage, qui abrite 162 poèmes, nouvellement traduits par Françoise Delphy, l’une des meilleures exégètes de l’auteure américaine, n’est pas une simple anthologie littéraire donnant à lire et à entendre « la liberté de ses phrases qui parviennent à échapper au cloisonnement de la poésie qui l’a inspirée », ainsi que l’écrit Lou Doillon dans sa préface. Elle est bien plus que cela, conformément aux dialogues plébiscités par les Éditions Diane de Selliers, soucieuses de voir des images enluminer des phrases. Confiée à l’historienne de l’art Anna Hiddleston, une sélection d’œuvres emblématiques de la peinture moderniste américaine, signées Georgia O’Keeffe, Charles Demuth, Helen Torr ou Edward Hopper, enrichit cet élégant volume, glissé dans un coffret comme un bijou dans son écrin. L’exercice est périlleux tant ces échanges peuvent tourner court. Or, en échappant à la pure littéralité ou à la morne illustration, chaque tableau assigné vient établir un jeu de subtiles correspondances exhaussant la puissance évocatrice des poésies d’Emily Dickinson, cette parfaite contemporaine d’Arthur Rimbaud. À cet égard, une vue de la baie de Naples par Joseph Stella (Capri, sans date) permet ainsi de faire vibrer sur la rétine le chant cristallin de ces vers mélancoliques : « Je grimpe une marche de Lave / À n’importe quel moment si l’envie me prend / Je peux contempler un Cratère / J’ai le Vésuve à la Maison. » Somptueux.

« Poésies d’Emily Dickinson illustrées par la peinture moderniste américaine »,
[traduit de l’anglais par Françoise Delphy), Éditions Diane de Selliers, 412 p., 250 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°768 du 1 octobre 2023, avec le titre suivant : La poésie et ses images

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