« Dans le monde des idées et des formes, tout est mouvant. L’histoire des arts et de la littérature n’est pas l’histoire d’une suite de chefs-d’œuvre définitifs, surtout si l’on s’attache à une période encore assez proche de nous »… Voilà le lecteur qui s’apprête à lire ce dense et lourd ouvrage prévenu : l’histoire n’a de figé que la lecture que la société en fait.
Ce principe, l’historien, critique et traducteur Serge Fauchereau en a fait son antienne il y a plus de quarante ans, et il continue de gouverner ses textes. Le dernier en date, La Fin des avant-gardes de l’entre-deux-guerres,édité ce mois-ci chez Hermann [660 p., 45 €], ne fait pas exception à la règle. Mieux, il l’honore.
La Fin des avant-gardes retrace en effet une histoire de la création du lendemain de la Première Guerre mondiale à la veille de la Seconde, en prenant soin de ne pas raconter la seule histoire admise des arts, avec sa suite d’« ismes » et de chefs-d’œuvre officielle, mais de regarder dans les détails de l’histoire les « petits » mouvements comme les « petits » maîtres que l’on écarte habituellement. Le simple sommaire du livre donne un aperçu de l’ambition de l’auteur, où les deux chapitres sur le surréalisme en France et en Belgique (« Après le Second Manifeste, 1929-1933 » et « Le surréalisme et l’avant-guerre, 1934-1939 ») sont par exemple suivis par deux chapitres sur les « surréalismes réprimés » (en Yougoslavie, en Hongrie, etc.) et les « autres versions du surréalisme » (en Roumanie et dans les pays scandinaves). Même lorsqu’il se concentre sur la France et la Belgique, l’auteur consacre une partie au Grand Jeu, mouvement fondé dans les années 1920 autour de René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, « probablement moins remarquable par ses réalisations mêmes que par sa résistance au surréalisme ».
Cette approche, Serge Fauchereau dit la tenir de son auto-didactie. « J’ai la chance de n’avoir pas fait d’études, de ne pas avoir été formaté, j’ai donc “avalé” un tas de choses dans le désordre », s’amuse celui qui, né en 1939, a signé des dizaines de livres, de chapitres de catalogues et de préfaces sur la poésie américaine, Philippe Soupault, William Carlos Williams, Mondrian, le cubisme, l’Europe des esprits, les peintres mexicains, l’art russe et l’art des pays baltes, sans oublier Gaston Chaissac auquel il rendait, enfant, visite à Saint-Florence, en Vendée. Certes, ce mélange manque de méthode, et il est possible de reprocher à l’auteur de mettre parfois tout sur un même plan. Mais sa curiosité est contagieuse et son dessein de rendre à l’histoire sa complexité fait plaisir à lire. « Je veux donner de l’information aux lecteurs, leur donner l’envie d’aller voir par eux-mêmes, comme je l’ai fait moi aussi. Je souhaite qu’ils découvrent des artistes, des œuvres, des écrivains, des musiciens, des architectes… » Car il n’est pas seulement question d’art et de littérature, les deux domaines d’expertise de l’auteur de La Fin des avant-gardes, mais aussi d’architecture, de photographie, de cinéma, de musique… bref, de culture au sens large. « Certains trouveront de mauvais goût que je cite la “country rock” quand je parle du Sud des États-Unis. Il se trouve que je connais bien cette région pour avoir vécu au Texas. Or, on ne peut pas parler de la peinture texane sans la remettre dans son contexte musical », défend ainsi Fauchereau, qui se souvient avoir découvert The Source of Country Music dans l’atelier du peintre Thomas Hart Benton, lors d’une visite impromptue rendue au maître de Pollock. « La culture circule. Chacun d’entre nous va au cinéma, au théâtre, écoute de la musique… Je ne vois donc pas pourquoi je devrais m’enfermer dans un domaine plus qu’un autre. » Alors pourquoi enfermer l’art et les artistes ?
Cet heureux mélange était déjà en germe dans la Lecture de la poésie américaine (Éditions de Minuit), en 1968, lorsque Serge Fauchereau évoquait le Blaue Reiter, Kandinsky, Klee, Picabia et le Pierrot lunaire de Schönberg, avant de proprement entrer dans la poésie de Robert Frost. Il s’épanouit aujourd’hui dans sa Fin des avant-gardes, titre qu’il faut autant lire pour le cadre chronologique qu’il induit – l’avant-garde englobe les ruptures esthétiques de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle – que pour sa dimension programmatique : observer la spécificité de la création dans l’entre-deux-guerres, bien au-delà des seules « avant-gardes ». Salutaire.
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La fin des avant-gardes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : La fin des avant-gardes