La croûte et le chef-d'œuvre inconnu

Dans le film, Titien, l’empire des couleurs, les deux réalisateurs Laura Chiossone et Giulio Boato concentrent tous les clichés du documentaire sur l’art. À commencer par les séquences de reconstitution. Ces films n’ayant pas le budget des grands biopics, les décors coûteux et les foules de figurants des saynètes qui ponctuent les témoignages des historiens de l’art sont remplacés par des fumigènes ou des fonds neutres. La pire idée reste celle de reproduire le geste artistique : la caméra pivote autour du modèle pour ensuite s’attarder en gros plan sur une main ou sur le regard pénétré de l’artiste. Comme si l’œuvre allait naître d’une partie très précise du corps du créateur. Au final, l’écran de cinéma n’étale qu’un grand tableau vivant, reproduction grotesque du chef-d’œuvre de l’artiste.

Le second, Munch, une production norvégienne ambitieuse, est un échec d’une nature différente. Le scénario retrace la vie du créateur du Cri, de sa jeunesse à sa mort. Le réalisateur Henrik Martin Dahlsbakken attaque la montagne Munch par toutes les faces, signant quatre films en un. Ainsi, l’artiste est interprété par quatre comédiens différents aux âges de 21, 29, 45 et 80 ans. Le film invente même un Munch des années 2020, qui erre à Berlin parmi les hipsters de Kreuzberg ! Les segments ne s’assemblent pas dans l’ordre chronologique. Visiblement, le cinéaste norvégien s’inspire de I’m Not There, le virtuose portrait composite de Bob Dylan par Todd Haynes. Malheureusement, Dahlsbakken s’emmêle les pinceaux : l’ensemble, qui se veut original, s’avère confus et l’on ne comprend pas en quoi le destin de Munch justifie un dispositif d’une telle complexité. Pire, tout auteur de biopic se mesurant non seulement à l’objet monumental de son film, mais aussi à ceux qui l’ont abordé avant lui, la tâche de Dahlsbakken est rendue plus ardue encore par l’existence du remarquable Edvard Munch, la danse de la vie, réalisé par Peter Watkins en 1974. Henrik Martin Dahlsbakken a peut-être été victime du syndrome du Chef-d’œuvre inconnu, écrit par Balzac. Dans ce roman, la toile devient illisible à force d’acharnement. Un ami du peintre, le vieux Porbus, observe l’œuvre. Croyant deviner le sujet sous les multiples couches de couleur empâtées, il s’exclame : « Il y a une femme là-dessous ! » De la même façon, quand le cinéma se penche sur l’art, le spectateur se sent parfois comme Porbus : il y a un artiste là-dessous !