Chronique

La critique : en sortir et y revenir

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 751 mots

Projet singulier, l’« Autoportrait » de Carla Lonzi est traduit pour la première fois en français tandis que le bulletin « Critique d’art » inaugure une nouvelle série.

Il y a plusieurs manières de rentrer dans le volume publié aux bons soins de La Maison rouge chez JRP | Ringier, Autoportrait de Carla Lonzi. La première sera assurément d’y lire l’expérience d’une critique témoin, tout au long des années 1960, de ce qui se dessinait alors dans le paysage italien, avant que soit identifiée sinon revendiqué l’appellation de l’« arte povera ». S’il est rédigé en 1969, lors d’un séjour de l’auteure aux Etats-Unis, le volume est nourri de rencontres et d’entretiens réalisés entre 1965 et 1969 avec pas moins de quatorze artistes alors actifs en Italie, parmi lesquels Luciano Fabro, Lucio Fontana, Enrico Castellani, Jannis Kounellis, Carla Accardi… C’est que Carla Lonzi pratique la critique entre 1958 et 1970, introduite par l’historien de l’art Roberto Longhi dans la presse spécialisée et à la RAI, la radio publique italienne. Mais sa position de critique évolue pendant cette dizaine d’années, déplaçant progressivement son point de vue et sa pratique jusqu’à orienter son travail de réflexion et d’écriture vers un féminisme engagé et réfléchi, dont elle est une théoricienne et une activiste : un « dépassement » de la critique d’art vers une critique sociale toujours essentielle aujourd’hui.

Voix fortes
Ce singulier « autoportrait » marque la sortie de la critique pour l’auteure, ce qu’elle explicite dans la préface du livre paru pour la première fois en 1969 (1) : « L’acte critique complet et vérifiable est celui qui fait partie de la création artistique. Celui qui est étranger à la création ne peut avoir un rôle critique socialement déterminant […]. C’est ainsi que se construit un faux modèle d’approche de l’œuvre d’art, à savoir un modèle culturel. Le critique est celui qui a accepté de mesurer la création à l’aune de la culture, en accordant à cette dernière la prérogative d’accepter ou de refuser l’œuvre d’art et de décider de sa signification. » Refusant la « fausse dissociation : création-critique », elle poursuit sa charge quelques lignes plus loin : « le critique fait le jeu d’une société qui tend à considérer l’art comme un accessoire, un problème secondaire, un danger à transformer en distraction, une inconnue à transformer en mythe, de toute façon une activité à maîtriser ». On pense au ton, au terme d’un cheminement intellectuel bien différent pourtant, d’un Jean Dubuffet dans son énergétique Asphyxiante Culture de 1968 (éd. Pauvert, 1re éd.).

Du coup, la forme du livre devient une gageure, puisque celui-ci est construit par montage-collage d’entretiens enregistrés avec ses quatorze interlocuteurs. La lecture est un peu vertigineuse car la transcription est volontairement très proche de la parole, avec force signes de ponctuation et obscurités parfois (« comme dans les processus chimiques… à savoir qu’un son se condense en signe, voilà, comme un gaz passe à l’état liquide », p. 57), mais elle rend compte du dynamisme des échanges : on y entend l’engagement des protagonistes et un certain état du débat italien en cette fin des années 1960, avec des voix fortes.

Écriture singulière
Un personnage apparaît en creux, l’artiste Cy Twombly, le plus romain des grands Américains, dont les réponses sont réduites à la mention répétée de son silence, lui qui ne répondit pas à un questionnaire que la critique lui adressa en 1963. Reste à interroger ce titre d’« Autoportrait ». Si l’on y entend bien parfois la parole de l’auteure parmi les intervenants, c’est plus dans la singularité de l’écriture qu’on en trouvera le sens, comme le précise la préfacière du volume, l’historiennne de l’art Giovanna Zapperi, quand elle note comment « cette forme d’écriture spécifiquement féminine devient une nouvelle modalité du savoir fondée sur l’introspection et l’autobiographie » (p. 30). Désormais, à partir de 1970 jusqu’à sa disparition en 1982, Carla Lonzi se consacrera, un temps avec l’artiste Carla Accardi, à l’engagement dans un féminisme radical et fondateur, maqué de manifestes et de textes théoriques.

Ainsi en va-t-il des mouvements de la critique : il est désormais un lieu, renouvelé et élargi sinon nouveau, de leur enregistrement avec la série qui s’ouvre par le numéro 40 de Critique d’art, la revue semestrielle des Archives de la critique d’art. Nouvelle maquette et nouvelles ambitions comprenant un élargissement à la littérature critique internationale, un allongement des articles et la mise à disposition des notices d’actualité bibliographique en ligne sur www.critiquedart.revue.org.

Notes

(1) et réédité par et.al/Edizioni en 2010.

Carla Lonzi, Autoportrait, traduit de l’italien par Marie-Ange Maire-Vigueur, 2012, éd. JRP|Ringier, coll. « Lectures Maison rouge », Paris, Zurich, 232 p., 19,50 €.

Critique d’art n° 40, Nouvelle série, Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain, automne 2012, Rennes, Archives de la critique d’art, 174 p.,16 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : La critique : en sortir et y revenir

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