L’Académie française est un bastion qui a ses secrets, ses rites et n’aime pas les regards extérieurs. Aucun photographe n’était parvenu à le prendre. Il a fallu deux années à Jean-Baptiste Huynh pour réaliser le premier ouvrage réunissant portraits et écritures maÂnuscrites des ImÂmorÂtels. Un livre d’artiste.
Dans le panorama de la jeune photographie, Jean-Baptiste Huynh apparaît singulier. Il ne se consacre ni au reportage ni à la "photographie plasticienne" mais garde une prédilection pour le portrait. Si nombre de ses contemporains jouent des artifices d’une mise en scène, d’images-chocs, de tirages très contrastés aux noirs appuyés, lui est plus soucieux d’approfondir un classicisme nourri de subtilité et est sensible à un certain esthétisme. Ses tirages respectent toutes les valeurs, la richesse des gris, sa lumière artificielle est douce. Ses portraits ne cherchent pas à embellir, encore moins à piéger ou caricaturer. Il veut établir une confiance sans laquelle tout portrait peut demeurer superficiel. Il a heureusement évité de portraiturer l’Académie française dans ses beaux habits verts. Il a préféré ne pas surprendre ses membres dans leur environnement, devant une bibliothèque chargée de livres ou avec un attribut de leur spécialité, mais a placé le traditionnel fond gris en arrière-plan. En éliminant tout décor, les académiciens nous sont livrés égaux, seule leur présence compte. Un tel parti pris donne cohésion au livre.
Le regard et le trait
Adoptant un format carré, maîtrisant un cadrage rigoureux, Jean-Baptiste Huynh concentre ses images sur le regard. "J’appuie quand le regard me paraît juste", confie-t-il dans l’introduction. D’autres photographes ont fait leur cette maxime, mais Immortels en apporte la démonstration page après page. Un regard révèle la coquetterie, le refus de l’âge de l’un, la simplicité, le détachement ou la sérénité d’un autre, le narcissisme, l’orgueil sans borne d’un troisième : ces grands hommes, pour certains au soir de leur vie, au sommet de leur "réussite", sont le miroir de la condition humaine la plus quotidienne, avec ses générosités et ses faiblesses.
Dans l’ouvrage, Jean-Baptiste Huynh relate en quelques lignes précédant chaque portrait l’atmosphère de la séance de pose. Par leur humour, leur poésie, leur sincérité, ces "notes de rencontre" brisent l’aspect répétitif d’une galerie de masques. Autre lecture : chaque membre de la grande famille a été invité à se projeter vers un autre destin. "Si vous n’étiez pas vous-même, qui auriez-vous aimé être ?" leur a demandé le photographe. Les réponses, en pirouettes, pleines de sagesse ou de vanité, révèlent une autre facette des personnalités ou confirment ce que les portraits montraient déjà. En imprimant ces réponses manuscrites sur papier calque, dessin des lettres et traits du visage se fondent pour offrir un livre d’artiste. Chaque page porte la griffe de l’auteur puisque Jean-Baptiste Huynh en a conçu la maquette. Dès la couverture, où une coupole en miniature se découpe sur un ciel nocturne, lourd de nuages. Le vrai au-delà.
Jean-Baptiste Huynh, Immortels, éditions Actes Sud, 256 p., 67 photos en trichromie, préface de Maurice Druon, 290 F.
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Jean-Baptiste Huynh, Immortels
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°31 du 1 décembre 1996, avec le titre suivant : Jean-Baptiste Huynh, <em>Immortels</em>