Livre

Écrits d’artiste

Jacques Villeglé, Petit vocabulaire

Blouse, lacéré, crêpes…, les mots de Villeglé

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2013 - 851 mots

Après nombre de textes sur l’art et une biographie, Jacques Villeglé publie un « Petit vocabulaire » qui recense ses définitions personnelles de mots-clés dans son œuvre ou sa vie.

Les mots préoccupent les artistes de nombreuses manières, soit au sein même de leur travail de la forme, soit qu’ils parcourent les « régions plus verbales » de l’œuvre d’art que soupçonnait Duchamp, ou même plus simplement au long de la vie des œuvres, du titre au commentaire. Jacques Villeglé ajoute à ces préoccupations celle de l’écriture, cette fois en tant qu’auteur : sa bibliographie compte désormais un livre de plus avec son Petit vocabulaire paru cet été : un dictionnaire ! L’artiste est polygraphe, il visite tous les genres. C’est une partie de l’œuvre et de la démarche pour certains. Warhol était précurseur, avec cette bibliographie qui se rangerait presque dans toutes les classifications de nos bibliothèques : roman, manuel de philosophie, journal intime, essai d’histoire de l’art… C’est en tout cas ce que promettent les titres, non sans l’ironie que l’on connaît à l’artiste new-yorkais.

Dans le parcours de Villeglé, engagé depuis une soixantaine d’années dans une œuvre désormais à sa place sur les cimaises du monde, l’écriture est partout. Il publie en revue dès 1958 un texte théorique, « Des réalités collectives », « mise au point » qui donne les linéaments du Manifeste du Nouveau Réalisme qu’il signera deux ans plus tard. Il fera paraître au fil des ans des textes sur et autour de son travail, réunis en volume plus tard. Il publie en 1999 une biographie de ses premières années de travail d’artiste. Cette identité d’artiste ne va pas de soi, et Villeglé semble aujourd’hui encore avoir à se réinterroger quant à sa définition, qui n’est pas donnée par l’esprit ou la société, mais résulte d’un « travail » spécifique de celui qui n’est, selon la formule titre de Jean Dubuffet, qu’un « Homme du commun à l’ouvrage ».

Ce glossaire Villeglé permet un parcours dans son art souvent à partir de points de détail, au travers de rencontres ou d’usages précis qu’il a pu faire de tel ou tel mot. Mais il restitue aussi des éléments de contexte, par flash puisque les textes sont contraints à la brièveté de la notice de dictionnaire, réduite parfois à deux lignes, étendue à deux pages ici ou là. On y trouve encore des références contextuelles, artistiques ; des réflexions, tantôt savantes, tantôt sensibles mais toujours très personnelles ; des rêveries sur tel ou tel mot.

Les mots de la rue
La forme dictionnaire et l’attachement au mot ne viennent pas d’une nécessité d’éclaircir un vocabulaire quasi ésotérique, comme on le reproche parfois aux artistes bardés de néologismes et de mots savants. Tout au contraire, c’est la langue ordinaire et quotidienne, les mots de la rue, qui constituent son matériau de prédilection, ici comme dans son œuvre plastique. Et c’est avec ce vocabulaire et cette écriture sobre, justement plate, que l’artiste emmène son lecteur. Mais avec la malice qu’on lui connaît et aussi sa faconde et sa verve, lui qui se reconnaît un « goût pour la discussion » (cf. l’article « Indiscrétion »). Exemples : « Blouse : À l’école des Beaux-Arts, je portais une blouse couleur sinago (marron-rouge) et Hains la trouvait très élégante. » « Calligraphie : Cela m’a toujours plu. Je me suis aperçu que lorsque je faisais de la calligraphie, j’y introduisais de la typographie. Je me réfère à Ubu de Jarry qui, comme Remy de Gourmont, s’intéressait à la typographie, qui annonçait celle des Dadaïstes. » « Crêpes : Ma mère était normande, nous ne mangions pas beaucoup de crêpes. Elle avait une culture culinaire normande. Pourtant, elle avait beaucoup de parenté bretonne, mais elle vivait dans la Manche […] » « Lacération : J’ai toujours préféré les mots “lacération”, “lacéré”, aux mots “déchirure”, “déchiré”, c’est plus physique. Ce fut et c’est une technique nouvelle. » « Livre d’artiste : La critique, dans ma jeunesse, disait qu’il n’y avait que les mauvais artistes qui écrivaient bien sur l’art. Malgré cela, peut-être pour les contredire, j’ai beaucoup écrit pour mettre de l’ordre dans mes idées et essayé de faire comprendre l’œuvre que je construisais […]. »

Ainsi se livre le personnage de l’artiste, qui ajoute à l’ouvrage un Index des noms propres de quelque cent pages, sortes de portraits subjectifs qui disent beaucoup des relations de l’artiste aux œuvres des autres (y compris des écrivains), relations pas toujours tendres mais toujours respectueuses. Même envers un Pierre Restany, avec qui les rapports, au-delà de la complicité un peu factice du Manifeste du Nouveau Réalisme, étaient « tendus », jusqu’à une « relative hostilité » portant plus, précise l’artiste, sur la « dualité Hains-Villeglé ». C’est enfin sur un ton plus précis, grâce à cette mémoire qui le caractérise, qu’en répondant aux questions du critique Yan Ciret il campe la scène lettriste dont il est un témoin intéressant, proche et libre.

Jacques Villeglé, Petit vocabulaire, édité et préfacé par Odile Felgine ; entretien avec Yan Ciret, 2013, Jean-Pierre Huguet Éditeur, Saint-Julien-Molin-Molette, 304 p., 23 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Jacques Villeglé, Petit vocabulaire

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