Après deux expositions « Les portraits d’Ingres » à Londres en janvier, puis « Les élèves d’Ingres » à Montauban en octobre, l’intérêt jamais démenti pour le peintre de L’Odalisque se prolonge avec la publication d’une nouvelle monographie par Valérie Bajou, auteur l’an dernier d’un ouvrage remarqué sur Eugène Carrière.
Si “sa vie n’eut rien d’excitant ni de pittoresque”, l’œuvre d’Ingres, irréductible à “ces définitions restreintes du Classicisme et du Romantisme qui rejettent ou assimilent mal une personnalité aussi importante”, ne cesse d’intriguer, ou plutôt de fasciner, par ses paradoxes, ses contradictions, ses séductions vénéneuses et parfois sa grâce étrange. La faveur dont bénéficient aujourd’hui ses portraits peints ou dessinés n’est pas le moindre de ces paradoxes, car non seulement le peintre de Montauban répugnait toujours à abandonner le grand genre pour répondre à des commandes de ce type, mais il “ne voulait pas exposer ses portraits dessinés de peur que leur succès menaçât la réflexion sur ses compositions historiques”.
Lui qui “croit en Dieu sous les espèce et apparence de Raphaël”, selon les termes du critique Auguste Jal, n’a jamais été un simple gardien du temple, et se faisait fort d’“être original en imitant”. Le malentendu sur sa prétendue fidélité au dogme classique a sans aucun doute favorisé son élection à l’Académie des beaux-arts, car “sa croisade s’est imposée dans l’affranchissement des règles et non dans leur négation”.
Inclassable, Ingres n’est jamais parvenu, malgré le succès, à faire l’unanimité. À un Théophile Gautier qui le soutient avec passion, ou à un Baudelaire qui a su comprendre ses audaces, avant de se détourner de ces “finesses laborieuses”, répondent nombre de critiques peu amènes : à propos de la Vénus Anadyomène, l’un d’entre eux, féroce, dénonce dans “l’Aphrodite de M. Ingres, ce mauvais modèle mal emmanché, aux pieds léchés par des amours estropiés”. L’incompréhension culmine certainement à la fin de sa carrière. Pour Valérie Bajou, “reconsidérer les anathèmes par une étude directe de ces peintures est nécessaire. Cependant systématiser cette entreprise pour en faire des chefs-d’œuvre paraît aussi excessif que leur rejet a priori [...]. Il n’en demeure pas moins que la synthèse tentée par Ingres dans ses dernières années renferme une tension qui reste à découvrir, entre la réalité et l’idéal”. Sans prétendre renouveler la lecture de son art, ni en cacher les faiblesses, cette monographie, succédant à celle de Georges Vigne en 1995, se lit avec plaisir, grâce notamment aux multiples références à la correspondance d’Ingres ou à la littérature artistique de l’époque.
Valérie Bajou, Monsieur Ingres, Adam Biro, 385 p., 240 ill., 680 F. ISBN 2-87660-268-7.
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Inclassable Ingres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Inclassable Ingres