Longtemps l’image eut pour fonction de légitimer un fait, voire de créditer une idéologie. La photographie attestait d’une existence en se constituant partie civile de la réalité. Cependant, l’histoire de ce siècle nous a démontré combien le rôle de la photographie fut ambigu, combien l’image enregistrée fut sujette à de multiples appropriations et détournements, combien un véritable fonds de commerce de la manipulation repose sur une croyance naïve dans les images perçues comme des reproductions du visible. Tout au long de ce siècle, les pouvoirs, tous les pouvoirs, se sont rapidement emparés du vieux mythe de la réalité photographique pour le plus grand bénéfice de leurs actions exercées sur l’opinion. C’est sur ce sujet complexe que se sont penchés les intervenants du colloque « Image et Politique » qui s’est déroulé en Arles l’été dernier. Pouvoir de la représentation, possibilité de transmettre une expérience, de la porter à la lumière afin qu’elle témoigne et informe, tels étaient les principaux axes d’un colloque riche en rebondissements et en provocations. Enfin disponible, les actes de celui-ci oscillent entre les imprécations d’un Paul Virilio contre la démocratie optique et les constatations lucides d’un Ramon Esparza sur les trois attitudes de la photographie : la photographie au service du pouvoir, la photographie contre le pouvoir et la photographie malgré tout. Mais une question lancinante parcourt les textes et les interventions : Que doit-on représenter à l’ère des médias et comment peut-on le représenter ?
En effet, le nouveau réseau médiatique semble continuellement déclarer que la violence est plus efficace visuellement que la douleur et la souffrance. Or, que signifie aujourd’hui une photographie de victime si on ne voit pas un individu seul avec son visage, son corps et surtout son histoire personnelle et sa parole ? A cet égard, « S 21 » constitue un exemple parfait. Cette exposition présentée à l’époque en Arles (aujourd’hui à la Villette jusqu’au 12 juillet) montre des portraits de Cambodgiens réalisés lors de leur arrivée dans le centre de détention S 21, véritable usine à tortures et à massacres (7 survivants sur les 25 000 internés). Cependant, parmi le flot d’images que l’on peut voir aujourd’hui, celles-ci surprennent par l’extraordinaire intensité de ces portraits et l’incroyable abandon de ces corps qui, tout entiers cernés par l’ombre d’un départ absolu, donnent d’eux une image de la Nécessité, une image qui est prise de parole, une image d’où toute haine est absente. Que ces photographies réalisées par des tortionnaires soient également celles qui nous émeuvent le plus n’est pas sans poser un grave problème d’éthique. Dans un texte passionnant, Thierry de Duve ne manque pas de poser (trop) crûment la question. Aussi, on ne peut que conseiller la lecture de ce livre captivant où sont évoqués tour à tour le drame algérien, les massacres serbes, les manipulations historiques et les interventions exemplaires de certains artistes tels Picasso avec Guernica, ou Jochen Gerz avec ses monuments de mémoire en Allemagne.
Françoise Docquiert, François Piron, Image et Politique, colloque sous la présidence de Paul Virilio, éd. Actes Sud/AFAA, 187 p., 21 ill., 100 F.
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Image et politique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°497 du 1 juin 1998, avec le titre suivant : Image et politique