Oublier un peu l’architecture pour s’intéresser enfin à l’architecte dans l’exercice de sa profession, telle est l’ambition des Bâtisseurs d’avenir, qui met l’accent sur les relations mouvementées de l’artiste avec le pouvoir.
Estimant non sans raison que trop d’histoires de l’architecture ont négligé l’architecte, et surtout la façon dont il exerce son métier, Jean-Michel Leniaud nous livre une véritable histoire sociale de cette discipline. Pour satisfaire cette ambition, il pénètre dans les arcanes de la profession, dans les agences, les commissions, les amphithéâtres ou les jurys, afin de mettre en évidence toutes les dimensions de l’activité d’architecte, et plus particulièrement certains sujets de débats, souvent orageux, dont l’actualité ne s’est pas démentie. À côté de sujets de friction comme les concours ou l’enseignement, l’auteur privilégie un axe de lecture particulièrement fécond, s’agissant de l’art de bâtir : le rapport de l’architecte avec le pouvoir. Face à l’impossibilité de théoriser sur un tel sujet, il articule son propos autour quelques personnalités jugées emblématiques, qui ont, à l’exception de Tony Garnier, la particularité d’avoir écrit sur leur art. Des liens personnels tissés par Fontaine avec Napoléon, puis Louis-Philippe, aux efforts vains de Le Corbusier pour s’attirer les grâces de Mussolini ou du maréchal Pétain, en passant par Viollet-le-Duc, Hankar, Horta et Guimard, puis Tony Garnier et son utopique Cité industrielle, ce sont autant de variations sur les relations avec le maître d’ouvrage, qu’il soit étatique, municipal ou privé.
Conseiller le prince
Le mythe des relations privilégiées qu’auraient entretenues Périclès et Ictinos, bâtisseur du Parthénon, expriment mieux que tout autre l’aspiration des architectes à conseiller le Prince dans sa politique et à se faire l’interprète de sa pensée. De ces exemples très longuement développés, l’auteur tire, sur l’ambition du pouvoir, une conclusion qui explique bien des échecs : “Que l’architecte traduise par les matériaux les aspirations du corps social telles que lui, pouvoir, les interprète.” Cette conception du rôle dévolu à l’artiste ne pouvait qu’écarter les visions démiurgiques d’un Le Corbusier, en quête d’“un nouveau Colbert” pour imposer ses projets radicaux à un peuple à juste titre réticent. Le livre met bien en évidence la mutation de la nature même de ce pouvoir depuis la Révolution : au souverain tout-puissant se substitue progressivement un État impersonnel. Puis la commande publique, à la fin du XIXe, se fait plus rare, le pays s’étant couvert entre-temps d’écoles, de tribunaux et de mairies, obligeant les architectes à se tourner vers la clientèle des particuliers, avant que ne s’ouvre à eux une nouvelle voie, plus ambitieuse, celle de l’urbanisme. L’exemple du concours pour le Stade de France se présente comme le terme provisoire de cette mutation, avec l’avènement de la “conception-construction” qui met plus ou moins l’architecte sous la coupe des géants du BTP. Si l’ouvrage s’égare parfois dans la relation fastidieuse des querelles suscitées par l’organisation de l’enseignement, il offre une intéressante galerie de portraits : Fontaine, pilier de toutes sortes de commissions que par ailleurs il dénigre (“Ces réunions d’hommes connus ou célèbres sont imaginées par les ministres pour éloigner d’eux les solliciteurs dont ils sont accablés et mettre leur responsabilité à l’abri des reproches”) ; Guimard organisant sa propre publicité en éditant des reproductions de ses œuvres sous l’orgueilleuse légende “Le style Guimard” ; ou encore Tony Garnier s’acharnant à obtenir le Prix de Rome afin de donner une crédibilité incontestable à sa critique de la pensée académique.
Jean-Michel Leniaud, Les bâtisseurs d’avenir. Portraits d’architectes XIXe-XXe siècle, éd. Fayard, 503 p, 170 F. ISBN 2-213-60168-2.
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Histoires d’architectes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Histoires d’architectes