Graphisme

En France, le graphisme semble ne pas intéresser grand monde au point de rester cantonné dans un registre totalement illustratif. Pour beaucoup de commanditaires, un graphiste est une personne qui combine des signes afin de fournir une information basique. Or, un graphiste est surtout quelqu’un qui invente des formes et des signes. Un graphiste connaît le pouvoir des images, leur force et faiblesse. Il sait aussi que nous vivons dans un monde saturé visuellement par les signes de la consommation de masse. C’est pourquoi les meilleurs d’entre eux ont toujours cherché à améliorer la qualité du regard des spectateurs en réinventant leur vocabulaire d’affiches en affiches, de plaquettes en plaquettes. Cette ignorance et ce dédain incroyables envers le graphisme, caractéristiques de notre société, ne pouvaient pas être sans conséquences. Les agences les plus exigeantes, celles qui depuis longtemps refusent la facilité de la publicité, ferment les unes après les autres. L’une des dernières en date, sans doute l’une des plus importantes, reste Les Graphistes Associés. Le petit catalogue qu’ils ont dernièrement publié à l’occasion d’une exposition est donc leur chant d’adieu. En près de 295 pages, nous assistons à leur naissance, à leurs engagements politiques et sociaux,
à leurs hésitations et revers de fortune. Merveilleux exemple d’un travail collectif au service du graphisme, ce livre constitue donc une base de réflexion sur la place de ce domaine de création dans notre pays. C’est d’ailleurs pratiquement le seul ouvrage en français qu’il est possible de trouver sur le graphisme contemporain. La frilosité de nos éditeurs est à cet égard stupéfiante. Il faut donc se tourner vers les pays anglo-saxons, suisses ou germaniques pour trouver des ouvrages qui attestent des tendances les plus récentes. Dans ce domaine, les éditions Laurence King proposent depuis plusieurs années de somptueuses monographies à la lisière entre graphisme et art contemporain. La dernière en date est consacrée à un collectif formé en 1991 : Tomato. Jeux typographiques, dessins, manipulations d’images, détournements divers constituent l’ordinaire d’un livre que l’on peut appréhender comme un véritable livre d’artiste. Dans un autre domaine, I am almost always hungry propose une magistrale leçon sur le graphisme contemporain et sur la façon dont peut travailler l’une des plus grosses agences de graphisme de San Francisco : Cahan & Associates. Sur près de 300 pages, les signes sont décortiqués, analysés, reconstruits pour former au final un produit graphique d’une force peu commune. Outre une mise en page luxueuse et une inventivité formelle d’une très grande beauté, l’ouvrage vaut surtout pour les dernières pages où sont présentés des rapports annuels commandés par de grandes compagnies commerciales. D’habitude, rien n’est plus ennuyeux que ces austères compilations de chiffres. Ici, rien de cela. Cahan & Associates réussissent l’exploit de transformer ces rapports en véritables supports de communication. Dans un autre style, Marques d’excellence se veut une véritable histoire des divers logos d’entreprises que l’on rencontre dans le monde. À la lecture de cet ouvrage intelligent, on ne peut qu’être saisi par la grande pauvreté des codes qui régissent l’évolution des logos. Décidément, communication de masse et créativité semblent antinomiques.