C’est à la fin des années quarante que David Sylvester rencontra Giacometti et eut accès à son atelier. Depuis le milieu des années cinquante, il écrit sur l’œuvre de l’artiste, souvent à l’occasion d’expositions dont il est le commissaire. Ce livre constitue une refonte mûrement réfléchie de ses textes, mais les prolonge aussi.
Bien qu’il connaisse intimement les détails de la biographie de Giacometti et de son entourage artistique, David Sylvester n’a pas jugé utile d’y revenir, et centre son attention sur l’œuvre. Il cherche, en particulier, à décrire avec précision ce qu’éprouve le spectateur devant les œuvres, et montre que les figures et les bustes étirés, très caractéristiques de Giacometti, veulent faire prendre conscience du processus de perception. David Sylvester explique comment les déformations donnent aux sculptures une sorte de perspective interne, qui rejoint la perspective très affirmée des peintures et des dessins. Il observe comment les profils minces, en lame de couteau, se déplacent dans l’espace à mesure que nous en faisons le tour.
Sylvester porte le même intérêt aux constructions surréalistes, d’un symbolisme plus affirmé, que Giacometti exécuta au début des années trente. Comme le note l’auteur, ces constructions ont souvent pour effet de déconcerter, frustrer, taquiner, de jouer avec des sentiments d’anxiété, de danger, de compulsion. David Sylvester souligne l’empathie de Giacometti avec les efforts incessants de Cézanne pour définir les limites exactes des objets observés. à la quête d’absolu de Giacometti, David Sylvester oppose les styles d’autres contemporains figuratifs comme Balthus (bien qu’il ne soit pas nommé, Hélion offre un autre exemple adéquat.) Et ce sont peut-être ces artistes, en réadoptant consciemment les conventions illusionnistes classiques, qui, dans l’esprit de Wittgenstein, reconnaissent qu’on ne peut rien faire de plus.
Ici, la grande influence qui fait contrepoids à celle de Cézanne est l’autre grand mentor de Giacometti, André Derain – qui reprochait à Cézanne de ne pas avoir compris que l’art "n’est qu’un jeu. Il n’y a pas d’initiation possible" –, dont le néo-traditionalisme passait par une philosophie post-moderne qui "laisse tout en l’état", la même chose mais autre chose.
Après la simplification des ouvrages récents sur l’artiste, on savoure le côté raffiné de ce travail. Utilisant pour seules illustrations les photographies en noir en blanc de Patricia Matisse, David Sylvester s’en tient à l’analyse des œuvres essentielles.
David Sylvester, Looking at Giacometti, Chatto & Windus, Londres, 256 p., 64 ill. N et B, £ 25 (210 F).
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Giacometti revu par David Sylvester
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Giacometti revu par David Sylvester