Un essai agréable à lire tente de démontrer que Giacometti
a été plus influencé par son maître qu’il ne veut bien l’admettre
Colin Lemoine travaille au Musée Bourdelle, à Paris. C’est une information qu’il convient de signaler en introduction pour lire son essai sur Bourdelle et Giacometti. Mais il est aussi contributeur au Journal des Arts, et le lecteur doit donc s’attendre à un compte rendu sans complaisance de la part d’un journal qui revendique une certaine liberté de ton. Sa thèse ? démonter cette phrase prononcée en 1962 par Giacometti : « [L’enseignement de Bourdelle] ne m’a pas apporté beaucoup », établissant une doxa dans les manuels sur la faible influence du maître sur son élève. Mais comment prouver que Giacometti aurait menti, consciemment ou inconsciemment ? L’auteur relève le défi à la manière d’un détective, accumulant tous les faits, si minimes soient-ils, tendant à montrer une possible contamination de l’aîné sur le puîné. Et pour donner corps à sa pensée, il apporte les preuves, souvent visuelles, suscitant la participation active du lecteur. Le premier fait sur lequel il s’appuie, indiscutable, est la présence de 1922 à 1926 de Giacometti dans l’atelier de la Grand-Chaumière, où le jeune homme est envoyé par son père. Colin Lemoine produit plusieurs photographies de l’époque, certains inédites où le Suisse figure en compagnie d’autres élèves. Quatre ans c’est beaucoup, surtout lorsque l’on est âgé de 21 ans. L’auteur infère de ces photographies un attachement plus profond de Giacometti à l’atelier de Bourdelle que le premier veut bien l’admettre. Dont acte. Mais comme « présence ne saurait être influence » reconnaît avec franchise l’essayiste, suit le cœur de la démonstration, des comparaisons stylistiques d’œuvres, grandes et belles reproductions à l’appui permettant au lecteur de se faire sa propre opinion. La parenté stylistique n’est cependant pas toujours manifeste, surtout pour un œil non exercé. Il est également très contestable d’établir une filiation directe entre des œuvres séparées de plusieurs décennies, comme c’est le cas entre Jeunesse, une sculpture de Bourdelle datée de 1911, et Femme de Venise, réalisée quarante-cinq ans plus tard par un Giacometti qui a engrangé dans sa mémoire visuelle quantité d’œuvres primitivistes d’autres artistes. Parfois c’est plus probant, comme en témoignent Cléopatre Sevastos de Bourdelle (1908) et Tête de la mère de Giacometti en 1927.
Colin Lemoine ne néglige aucun détail, par exemple quand il met en évidence des ressemblances dans le jeu sur les socles ou qu’il note le recours à des tiges chez les deux artistes. Mais là aussi la distance dans le temps entre les œuvres ne fait pas de ces comparaisons des preuves irréfragables. Le plaisir de cet essai, court et bien chapitré, vient aussi de l’écriture de l’auteur qui aime jouer avec les mots, convoquer des métaphores et soigner ses formules. Non sans y ajouter une pointe de lyrisme, ce qui lui permet parfois, lorsque son assertion n’est pas totalement convainquante, d’emporter l’adhésion par la séduction du verbe.
éd. Les Presses du réel, Dijon, collection « Dédalus », 140 pages, 18 €.
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Giacometti et Bourdelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Giacometti et Bourdelle