Les artistes sont mal lotis dans une économie de marché. Un ouvrage en fait le sombre constat.
Professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’économie des arts et des médias, Xavier Greffe s’était déjà intéressé à plusieurs reprises aux conditions de l’emploi culturel (1). Il récidive avec cette étude dense et pointue, consacrée exclusivement à la place des artistes dans une économie de marché. Son analyse socio-économique s’inscrit dans une approche globale, qui prend en compte toutes les formes de la création artistique. Les arts plastiques, pour lesquels il existe un marché – qui déroute bien souvent les économistes –, y tiennent néanmoins une place particulière. D’emblée, l’auteur souligne la très grande fragilité économique des artistes, mais aussi, pour un certain nombre d’entre eux, leur hostilité au marché : le peintre Mark Rothko considérait ainsi que vendre ses œuvres d’art équivalait à vendre ses enfants. Pourtant l’auteur explique, au cours d’une longue analyse historique, comment l’artiste, en ayant acquis de haute lutte son statut, ne peut plus y échapper. Il raconte ainsi l’apparition presque simultanée, à la Renaissance, de deux phénomènes : l’autonomie de l’art, dès lors que l’artiste ne dépend plus d’un commanditaire, et l’économie de marché. La conséquence de ce changement ne s’est pas fait attendre. Dès lors, les artistes ont été soumis aux aléas de la demande, leurs ressources financières étant dépendantes de leur capacité à convaincre. Or la consommation d’art reste faible : c’est ce « mauvais sort réservé aux artistes » qu’analyse Xavier Greffe.
« Artistes crève-la-faim »
Les statistiques confirment cette thèse, à de très rares exceptions près, qui sont aussi très largement médiatisées. Les artistes restent en effet très largement sous-rémunérés par rapport à l’ensemble de la population active, soit de 10 % à 30 % de moins pour la France contre 6 % pour les États-Unis. Les Anglo-Saxons utilisent un mot lourd de sens, les « starving artists », ou « artistes crève-la-faim », pour qualifier ces exclus de l’économie de marché. Mais même pour les mieux lotis, le marché de l’art ne profite que rarement aux créateurs. L’auteur y distingue en effet un marché primaire, qui fixe les prix des œuvres et permet d’identifier les artistes – c’est le rôle des galeries –, et un second marché, celui des ventes publiques. Celui-ci ne fait bien souvent qu’augmenter les rentes de ceux qui possèdent déjà les œuvres. D’où ce constat : si les œuvres peuvent gagner en valeur, leurs auteurs n’en retirent que de maigres bénéfices. Pour vivre, ces derniers doivent donc explorer d’autres pistes. « Plus que jamais, l’artiste doit devenir l’entrepreneur de son propre talent », écrit Xavier Greffe. Et de poursuivre : « Les ressources que les artistes ne peuvent plus trouver à travers la consommation finale de valeur esthétique, ils les recherchent à travers la mobilisation des valeurs extrinsèques de leurs propres compétences. » Au risque de dénaturer leur art et d’y perdre en autonomie.
Plusieurs perspectives sont alors envisagées. Toutes révèlent leurs limites : utilisation de l’art à des fins économiques (amélioration des objets quotidiens ou des lieux de consommation, politique culturelle des entreprises...) ; à des fins sociales (animation socioculturelle, art-thérapie...), voire à des fins d’attractivité territoriale (tourisme culturel...). Dans tous les cas, les bénéfices sont une fois encore faibles pour l’artiste alors que celui-ci doit faire face à de nouveaux donneurs d’ordre, qu’ils soient chefs d’entreprise, élus ou chargés d’ingénierie culturelle. Le constat est donc loin d’être brillant. Dans un marché libéralisé, l’autonomie artistique n’existe donc qu’au prix d’une insécurité économique.
(1) lire notamment Arts et artistes au miroir de l’économie, éd. Unesco, Paris 2002.
Xavier Greffe, Artistes et marchés, éd. La Documentation française, décembre 2007, 304 p., 19,30 euros, ISSN 1763-6191.
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Fatalité économique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Fatalité économique