Art officiel

Esthétiser le pouvoir

Jean-Michel Leniaud livre une somme exhaustive sur la politique culturelle de l’Empire

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 501 mots

L’importance politique de la culture et des arts est une idée apparue, en France, avec la Révolution. Rarement autant d’efforts que sous l’Empire auront été conjugués pour asseoir le pouvoir sur le plan tant politique qu’esthétique – le IIIe Reich s’en inspirera, bien que les deux régimes ne soient en rien comparables !

Directeur de l’École des chartes, Jean-Michel Leniaud signe un ouvrage passionnant et superbement illustré qui suit le développement de cette politique culturelle avec force détails. Si l’inféodation des artistes au projet impérial est bien connue, Napoléon et les arts offre pour la première fois une analyse globale. Dans un style accessible qui valorise le propos érudit, l’historien aborde les domaines (l’architecture, la peinture, la sculpture, les arts décoratifs) que le pouvoir napoléonien a choisi de soutenir et protéger, autrement dit de surveiller.

Suivant le principe selon lequel l’art doit s’adresser au public, l’Empire imagine un réseau dont tous les acteurs et les outils institutionnels seraient au service du prestige national. De la formation à l’École nationale des beaux-arts , à la création et ouverture au public du Musée Napoléon au Louvre, en passant par l’iconographie à la gloire de l’empereur imposée aux artistes et les distinctions remises à l’issue du Salon désormais placé sous son égide, l’État contrôle toute la chaîne de création… quitte à transformer les artistes en fonctionnaires. L’architecture participe de cette réinvention de la Nation et modernise les codes de l’Antiquité pour exprimer « la solidité, la justesse et la légitimité des institutions nouvelles ». Même les habits portés par les hauts responsables de l’État doivent refléter la solennité de leur fonction. Parfaits cadeaux diplomatiques, les arts décoratifs rehaussent les cadres fastueux dans lesquels sont accueillis les dignitaires étrangers en visite.

Tentant une définition du style « Empire », Jean-Michel Leniaud souligne que « l’esthétisation du pouvoir napoléonien s’est accomplie dans une démocratisation artistique qui s’inscrit sur la toile de fond de l’embourgeoisement général de la société au cours du XIXe siècle. » Cette préfiguration de l’idée de « l’art pour tous » n’est pas sans perversité : en « convertissant » la petite bourgeoisie et les campagnes à son style décoratif, l’Empire assure la perpétuation de ses idées. Et que dire du postulat selon lequel « l’instrumentalisation politique de l’art [...] ne peut qu’étouffer le génie créateur » ? Rien n’est moins sûr, selon l’auteur, citant les nombreux facteurs qui s’opposent à un contrôle total de la création : « la personnalité impériale, dont la complexité inquiète ne se laisse pas enfermer dans une formule. Puis la diversité des goûts de son entourage familial. Le contexte des guerres perpétuelles, de la victoire à la défaite, de la gloire au pessimisme : l’immobilité du trône qu’Ingres peint n’est qu’apparente et le torrent du quotidien conduit au drame. Les artistes le ressentent et l’expriment à leur façon. Plus que de la grandeur, l’art impérial est celui de la passion ».

JEAN-MICHEL LENIAUD, NAPOLÉON ET LES ARTS, éd. Citadelles & Mazenod, 448 p., env. 350 ill., 210 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Esthétiser le pouvoir

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