Trois auteurs se penchent sur les matériaux et les techniques des objets de la vie quotidienne.
C’est un vrai brelan d’as que Raymond Guidot, porte-parole reconnu de la pensée sur le design en France, a réuni pour élaborer son dernier opus intitulé Design, techniques et matériaux. Ont en effet été convoqués : Jean Grenier, ingénieur diplômé du CNAM (Centre national des arts et métiers), spécialiste des matières de synthèse et enseignant, depuis 1972, à l’École nationale supérieure des arts décoratifs ; Jean-Baptiste Touchard, ancien responsable de l’Atelier de recherche et de création scientifique de l’INA, aujourd’hui directeur du master « Design industriel et conduite de l’innovation » au Strate College Designers ; Jean-Jacques Salomon, docteur en philosophie et histoire des sciences, ancien directeur de la Division de la politique de la science et de la technologie de l’OCDE et cofondateur de l’International Council for Science Policy Studies. Bref, trois pointures qui, au côté de Guidot lui-même, décortiquent les techniques et les matériaux de notre beau monde depuis que celui-ci est entré dans l’ère industrielle, en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle.
C’est Raymond Guidot qui ouvre le bal en déroulant un historique des plus fournis sur la foule de matières qui nous entourent. On passe ainsi avec force détails, et non sans une certaine délectation, de la fonte de fer, illustrée notamment par des éléments de structure du pont de Coalbrookdale (Grande-Bretagne), construit entre 1777 et 1779, aux pièces en résine polymérisée imaginées en 2004 par le designer Patrick Jouin et réalisées par un procédé de prototypage rapide appelé « stéréolithographie (1) ». Le trio de spécialistes susnommés prend ensuite le relais, chacun dans son fief : Grenier pour un décryptage en règle d’une myriade de matériaux, Touchard sur l’apport révolutionnaire du numérique qui, en l’espace de trente ans, a bouleversé à la fois la création et la production ; enfin Salomon sur le design d’aujourd’hui en regard des défis environnementaux qu’affronte la planète.
Mode de vie
L’ouvrage est truffé de documents préparatoires, de dessins techniques, de gros plans sur les matériaux ou sur des moules de fabrication, de vues d’usines et d’ateliers, d’objets finis ou de maquettes… Seul bémol : la qualité des photographies laisse parfois à désirer. Heureusement que les textes, passionnants, prennent le pas. Tout y passe. Les matériaux naturels, évidemment (bois, cuirs, peaux…), les matières de substitution et autres succédanés, un ensemble de plastiques en tout genre, enfin les matériaux composites et nanocomposites. Les auteurs analysent les techniques de conception, de fabrication et de réalisation, et la matière autant pour ses qualités propres que pour celles qu’elle induit sur le plan de la forme. Ainsi en est-il de la Bakélite. Née en 1909, cette matière de synthèse totale s’est, dans les années 1930 aux États-Unis, si bien accommodée de l’aluminium que ledit tandem a permis de répercuter aux silhouettes des objets de la vie quotidienne des formes issues de la recherche aérodynamique jusqu’alors appliquée aux voitures ou aux avions. Parfois, la matière peut même être à l’origine d’un nouveau mode de vie : « C’est, pour une large part, grâce à la production massive de mousse de polyuréthane souple – qui sert d’éléments de rembourrage, de matelas, etc. –, qu’un nouveau mode de vie au ras du sol est apparu dans les années 1960 », écrit Raymond Guidot. Au fil des pages, le lecteur prend également conscience que nombre d’innovations n’auraient pu voir le jour sans la recherche militaire, en particulier dans le domaine du génie chimique.
Depuis la révolution industrielle, le nombre des matériaux nouveaux n’a cessé de croître. Le développement durable est, lui aussi, venu s’inviter à la table du design. La réutilisation d’éléments qui composent un objet, son reconditionnement, voire le recyclage des matières sont aujourd’hui devenus incontournables : « On ne peut plus concevoir un produit sans envisager sa fin de vie », estime Raymond Guidot. Mi-cynique, mi-lucide, l’écrivain Octavio Paz a écrit que : « Le destin de l’œuvre d’art est l’éternité frigide du musée ; le destin de l’objet industriel est le dépotoir. » Il est effectivement grand temps que cesse cette règle d’or inepte chère aux pays industrialisés – « Produire plus pour consommer plus » – et que la société de consommation fasse sérieusement face à ses propres déchets.
(1) lire les JdA no 194, 28 mai 2004, p. 12 et no 239, 9 juin 2006, p. 14.
Raylond Guidot DESIGN, TECHNIQUES ET MATÉRIAUX, éd. Flammarion, 2006, 352 p., 39 euros, ISBN 2-080-113-240.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entrées en matières...
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Entrées en matières...