Pour l’histoire, c’est en 1947 que l’éditeur suisse Mermod propose à Colette, alors clouée par les douleurs de sa polyarthrite dans son « lit-radeau », de lui envoyer régulièrement un bouquet de fleurs dont elle tirerait un portrait par l’écrit.
Elle se prête au jeu, au long de vingt-deux textes, dont le recueil paru en 1948 figure parmi ses ultimes écrits. Une deuxième parution voit le jour trois ans plus tard chez le même éditeur, augmentée par des aquarelles du Raoul Dufy, et dont Citadelles & Mazenod édite la reproduction. Chaque texte s’y déploie autour des corolles d’une fleur pour s’en faire le prétexte à un récit, une fuite d’entre les lignes, en quête d’une correspondance, d’une assonance, d’un lien, d’un joyau, sans un même semblant de convention descriptive. Sur le fil d’une rêverie qui rampe au-delà des murs, dans les faubourgs parisiens autour de son appartement, et dans l’évocation du souvenir où pointe déjà l’âge du don et de l’enfance, son herbier littéraire efface toute leçon de choses pour mieux faire place au tempo de la vie. Plus qu’un jardin de plantes figées, ce projet met en mouvement l’imagerie mentale. Entre roman et poésie, à une nuance près de l’allégorie, chaque texte entremêle une observation précise de la nature, par l’expérience, et l’aventure d’un voyage intérieur qui lui procure tout son sens. Ainsi, chaque fleur y dévoile un pan entier d’univers littéraire, une essence personnelle, comme en un lieu, sans même l’apercevoir, le parfum d’une présence en trahit l’habitant, en appelle l’image. Et c’est à ce pouvoir d’évocation que se rattachent les aquarelles de Raoul Dufy. Du récit à la première personne d’une certaine approche sensorielle de la vie, il tire le portrait floral. Aussi éloigné des précisions descriptives des sciences botaniques qu’en serait le poème, il s’adosse à chaque texte, sans tout à fait l’illustrer, sans tout à fait montrer. Signe d’un retour à l’objet, qui prend le large d’avec le texte pour s’approcher d’un sujet de tableau, il en tire une étude artistique tout aussi narrative que le texte. Nous saisissons alors autour de chaque fleur un seul point de fuite, où les lignes se rencontrent, une intimité d’âme.
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Empire d’essences
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Empire d’essences