Quelles qu’en soient l’origine, l’époque et la langue, avant d’être une graphie l’écriture est premièrement graphique.
Pour écrire, il s’agit de dessiner du sens. À tel point que nous pourrions considérer tout roman comme un trait d’écriture, suivi, discontinu, qui forme un dessin particulier, et que c’est ce dessin qui en raconte l’histoire. Même les lettres latines qui forment ces quelques mots ci-présents nous descendent de dessins et de représentations qui se sont transformés dans le temps et qui ont perdu leur valeur graphique pour gagner en sens et en universalité. Pour inventer l’écriture, il a fallu donner du sens à des dessins et le figer autour d’une pratique partagée. L’opération est la même pour l’invention du langage tout entier. Certains signaux, certains gestes ou certains sons se chargent par conventions de l’expression d’un sens qui dépasse leur forme propre. Et leur association compose le fil d’un récit. C’est ici qu’intervient le principe fondamental de la poésie. Car, au-delà d’effectuer la transmission d’une information ou d’une histoire par le biais de signes entendus, la poésie, telle qu’on l’entend au moins depuis Rimbaud, vise à retourner le langage sur lui-même. Elle plonge aux racines du verbe, retourne au son, au geste premier, au mouvement de la langue. Elle repart de l’acte d’expression et vise à l’accession à un sens nouveau, à de nouvelles images, propres à dépasser le sens premier des mots. Par sa pratique surréaliste et personnelle de la poésie, Christian Dotremont aspire à une révolution de la langue. Abrupte Fable en est un recueil témoignage, sélectif et chronologique. Le poète y joue avec les mots, dans leurs sens et leurs sons, puis dans la structure des phrases et dans l’ordre qui les fait se suivre, et dans l’architecture des mots eux-mêmes, n’hésitant pas à démonter tout ce qui peut l’être. Nous sommes ici spectateurs de sa recherche d’une page blanche, d’un acte de recréation pur et immaculé qui traversa toute sa vie, sa quête d’autres sommets, d’autres monts, et jusqu’à démonter le motif même des signes qui composent la langue et en recomposer de nouvelles représentations, en quête d’une unité trouvée du tracé et du sens. De cette étape majeure de son chemin de création, il composa des tableaux verbaux et graphiques, qu’il appela ses « logogrammes ». Ces poèmes-peintures, obtenus par une déformation extrême et singulière de la forme écrite, affirment son retour poétique jusqu’au dessin, jusqu’au geste premier de l’écriture, qui redonne aux mots leur vie propre, leur liberté et leur nature mouvante d’avant qu’elle soit momentanément figée par la langue.
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D’un trait en extraire le sens
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : D’un trait en extraire le sens