Outre les catalogues, les grandes expositions monographiques sont toujours accompagnées d’un flot d’ouvrages plus ou moins réussis. Delacroix ne fait pas exception à la règle, alors même que sa bibliographie était déjà importante. Les nouveautés s’efforcent d’enrichir la gamme, de l’essai à l’ouvrage synthétique à destination du grand public, du livre au cédérom.
Les nombreuses publications accompagnant le bicentenaire de Delacroix n’arrivent pas dans un désert éditorial, loin s’en faut. L’an dernier, avaient déjà été publiées deux monographies du peintre, respectivement par Peter Rautmann chez Citadelles-Mazenod, et Barthélémy Jobert chez Gallimard. Cela n’a pourtant pas découragé les éditeurs, qui espèrent profiter de l’intérêt suscité par les nombreuses expositions du moment. Cet opportunisme tend parfois à nier la spécificité du livre. Ainsi le Delacroix de Stéphane Guégan apparaît-il sous la forme d’une monographie comparable à celle de La Tour, alors qu’il s’agit plutôt d’un essai dans lequel un questionnement thématique relègue au second plan l’aspect biographique. L’auteur entend s’émanciper des chemins trop balisés : dire “de Delacroix qu’il est tantôt romantique, tantôt classique, revient à durcir une opposition que le Romantisme précisément a dépassé en englobant l’héritage sur lequel il tranche”. Au-delà des “classifications usuelles”, diverses lectures s’offrent au spectateur. Le thème du double, qui sous-tend de nombreuses œuvres de Delacroix, est un des chemins possibles de l’appréhension de son art. Il s’entend de deux manières : soit le tableau est envisagé comme miroir de l’artiste, soit le double est considéré en tant que principe de représentation. Sardanapale est une des figures auxquelles le peintre semble s’être identifié. Comme le souverain oriental, “il fut sensible à cet hédonisme érigé en morale, qui plus est professé par un prince esthète pour qui le beau et la jouissance esthétique l’emportent sur tout”, estime Stéphane Guégan, en s’appuyant sur la correspondance de Delacroix.
Du côté de la représentation, “d’Hamlet à Othello, c’est toujours le thème du double, rupture intime ou dissimulation, que valorise le Romantisme”, analyse l’auteur. Exemple : “Othello surgit dans la chambre de Desdémone avec des yeux de fauve. Il est proprement hors de lui, et la bestialité hagarde que lui prête Delacroix traduit bien le dédoublement psychique du personnage.”
Figures duales et ambiguës
L’œuvre du peintre regorge de ces figures duales et ambiguës, à l’image de la Médée furieuse, où “l’image de la Charité (une femme aux seins nus tenant des enfants dans ses bras) devient celle d’une mère infanticide”. L’homme Delacroix, à la fois solitaire misanthrope et mondain incorrigible, serait l’incarnation ultime de ce dédoublement. L’iconographie accompagnant l’ouvrage est riche, mais hélas ! d’une qualité inégale. Il est regrettable qu’un éditeur comme Flammarion se contente de couleurs approximatives, variant entre la reproduction de l’œuvre entière et celle de ses détails. En revanche, Delacroix, le cabinet des dessins, publié par le même éditeur, bénéficie d’illustrations remarquables. Celles-ci, selon le principe de la collection, constituent d’ailleurs l’essentiel de l’ouvrage, enrichi de textes à la fois techniques, historiques et esthétiques, rédigés par Arlette Sérullaz. En dégageant les constantes de son œuvre graphique, elle fait preuve d’une familiarité exemplaire avec un aussi vaste sujet. “Dans les dessins de Delacroix, la variété des moyens mis en œuvre est presque sans limite”, note-t-elle. À travers sa sélection, se déploie un large éventail des techniques et des thèmes abordés par l’artiste.
De petits ouvrages généraux
Spécialiste confirmée de Delacroix, Arlette Sérullaz cosigne aussi, avec Annick Doutriaux, un nouveau numéro de la collection “Découvertes Gallimard”, qui réussit la gageure d’embrasser toute la carrière du peintre en 150 pages. Ce petit ouvrage constitue une introduction utile à l’œuvre, servie comme d’habitude par de belles illustrations. Sur le même créneau, Flammarion propose un ABCdaire dont la formule n’est pas idéale pour le profane, malgré la qualité des textes ; ceux-ci bénéficient en effet des mêmes signatures que bon nombre d’ouvrages plus importants et de catalogues d’expositions. Pas de nom, en revanche, derrière le cédérom Delacroix, génie de la couleur. S’inscrivant dans une collection qui comprend déjà Corot, Degas et Manet (lire le JdA n° 50), il est vendu avec un recueil de textes d’écrivains sur Delacroix.
Les dix-huit lithographies illustrant le premier Faust de Goethe, réalisées par Delacroix en 1827 mais desservies par une mauvaise traduction, n’avaient guère rencontré de succès. Accompagnées de nombreux dessins préparatoires à la plume, au lavis ou à l’aquarelle, elles ont été rééditées à l’automne dernier par Diane de Selliers, dans la traduction de Gérard de Nerval.
Stéphane Guégan, Delacroix, l’Enfer et l’atelier, Flammarion, 100 ill. coul., 200 p., 175 F., ISBN 2-08-012285-1.
Arlette Sérullaz, Delacroix, le cabinet des dessins, Flammarion, 70 ill. coul., 128 p., 175 F., ISBN 2-08-012243-6.
Arlette Sérullaz et Annick Doutriaux, Delacroix, une fête sur l’œil, “Découvertes Gallimard�?/Réunion des musées nationaux, 160 p., 82 F., ISBN 2-07-00534146.
Arlette Sérullaz, Alain Daguerre de Hureaux, Stéphane Guégan, Vincent Pomarède, L’ABCdaire de Delacroix, Flammarion, 120 p., 100 ill. coul., 59 F., ISBN 2-08-012578-8.
Goethe, Faust, illustré par Delacroix, dans la traduction de Gérard de Nerval, préface d’Arlette Sérullaz, postface de Michel Butor, Diane de Selliers éditeur, 80 ill., 980 F., ISBN 2-903656-22-3.
Cédérom Delacroix, génie de la couleur, collection “Signature�?, Index /Vilo diffusion, Mac/PC, 200 F.
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Delacroix à toutes les pages
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : Delacroix à toutes les pages