La réapparition en moins de deux ans et la rapide publication de deux manuscrits inédits réunissant vraisemblablement la totalité des Souvenirs d’un voyage dans le Maroc écrits vers 1840-1842 par Delacroix, mais restés inachevés, est une sorte de conte de fées bibliophile qui enrichit sensiblement notre connaissance du peintre.
“Quoique le temps fût beau depuis quelques jours, le vent n’était que médiocrement favorable, de sorte que nous avancions très lentement et que nous mîmes un jour et une nuit à faire le trajet du détroit. Enfin, avec les premières lueurs du jour le 24 Janvier, nous aperçûmes Tanger…” À quelque dix années de distance, Delacroix revit ainsi son arrivée par mer au Maroc, en 1832 : on l’imagine penché au bastingage de la frégate, exalté, et il n’en faut pas davantage pour éveiller notre rêverie sur ce voyage qui allait nourrir son imagination tout au long de sa vie.
On ne sait précisément ni pourquoi ni pour qui le peintre entreprit la rédaction de ces Souvenirs et l’abandonna soudain, même s’il existe de solides hypothèses que Barthélémy Jobert expose dans sa longue et passionnante introduction. Quoi qu’il en soit, le texte est remarquable et confirme ce que l’on savait des qualités d’écrivain de Delacroix. Dans une langue énergique et précise, il décrit et commente librement ce qu’il voit. On trouve ainsi des réflexions très personnelles sur le vêtement des Arabes, sur les tombeaux musulmans, opposés à nos “horribles cimetières” d’Europe, sur les coquetteries impromptues des femmes voilées, quand il n’y a pas à l’horizon “de passant à barbe et à turban”... ou encore sur le caractère britannique. On trouve aussi une description très vive d’un combat de chevaux et, ce qui étonne davantage, une digression sur les méfaits de la colonisation à Alger, constatés “un an et demi seulement après la conquête”.
Une petite exposition organisée par le Musée des beaux-arts de Tours – c’est à une conservatrice de ce musée, Sophie Join-Lambert, que l’on doit la découverte du manuscrit du début des Souvenirs – a présenté jusqu’au 7 mars des pages des deux manuscrits qui, il faut le préciser, ne comportent aucune illustration, pas le moindre croquis, mais sont pourvues de larges marges réservées aux additions et corrections qui venaient à l’esprit de l’auteur ; on y surprend donc Delacroix en plein travail de création littéraire. Ces pages étaient sobrement environnées du tableau de Delacroix que le musée conserve, Comédiens ou bouffons arabes, et de cinq aquarelles exécutées au Maroc.
Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, édition de Laure Beaumont-Maillet, Barthélémy Jobert et Sophie Join-Lambert, Gallimard, collection “Art et artistes�?, 184 p., 20 ill. coul., 150 F. ISBN 2-07-075413-8.
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Delacroix inédit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Delacroix inédit