L’atelier constitue la pierre angulaire de la pratique artistique à la Renaissance, et de son existence dépend la réussite économique d’un artiste. De Giotto à Raphaël, de Pisanello aux Carrache, les auteurs de cet ouvrage s’efforcent, avec une plus ou moins grande fidélité à l’ambition initiale, d’en dégager les modes de fonctionnement et de montrer les enjeux d’une telle investigation.
De nombreux détracteurs de l’art conceptuel s’offusquent fréquemment de l’intervention minimale de l’artiste dans l’œuvre finale, sans voir que les pratiques d’un Sol LeWitt, par exemple, s’inspirent des ateliers de la Renaissance. L’artiste était alors plus proche de l’architecte que du peintre actuel, dont la situation s’identifie plus volontiers à celle de l’écrivain.
Ces méthodes de production, qui font appel à une large palette de talents, commencent d’être mieux connues, et cet ouvrage collectif fait le point sur les recherches les plus récentes grâce aux contributions d’éminents historiens, tels Sylvie Béguin ou Konrad Oberhuber. Plutôt que de tenter une impossible histoire générale, les auteurs se sont attachés à quelques exemples emblématiques, afin de distinguer des pratiques pour le moins variées. Seules de patientes investigations dans les archives ont permis de récolter quelques renseignements sur des collaborateurs méconnus et de faire la part des diverses interventions. Bien sûr, l’exposé se révèle parfois austère, mais une connaissance exacte des modes de création permet d’évaluer la pertinence des notions de paternité, d’auteur, d’authenticité ou de créativité auxquelles notre époque est si attachée, et de mesurer l’influence réelle du maître sur l’art de son temps.
La mise en place d’un atelier constituait un préalable indispensable à la réussite, particulièrement dans les centres soumis à une forte concurrence, comme Florence. Il importait alors de ne refuser aucune commande, quitte à laisser sortir de l’atelier des œuvres de qualité inférieure. Aussi, très tôt, nombre de commanditaires ont jugé bon d’exiger, dans le contrat avec l’artiste, que le tableau devait être “di sua mano” (de sa main), les moins fortunés se contentant d’une peinture “nel modo e forma” (à la manière de)... Dans ces ateliers, se côtoient des collaborateurs aux statuts variés, du jeune apprenti au compagnon chevronné, associé le temps d’un chantier. Ainsi, le passage d’artistes d’horizons distincts dans l’atelier de l’orfèvre-sculpteur Lorenzo Ghiberti, où fermentent les innovations les plus caractéristiques de la Renaissance florentine, jouera un rôle non négligeable dans leur diffusion au reste de l’Italie.
Ces collaborations occasionnelles permettent parfois un véritable échange, ainsi que le montre l’examen scientifique effectué sur les œuvres peintes par le Hollandais Jan van Scorel lors de son séjour à Haarlem, de 1527 à 1530. Les analyses “ont abouti à un éventail proprement ahurissant de styles et de méthodes de travail, à l’intérieur de ce que l’on avait toujours considéré comme l’œuvre d’un seul artiste”, note Molly Faries.
Une meilleure connaissance des membres d’un atelier ne s’inscrit pas nécessairement dans une de ces entreprises de démythification à la mode, mais peut se révéler à l’avantage du maître. Tous les dessins retirés aux élèves de Raphaël pour lui être rendus, après une étude menée sur ses principaux assistants, montrent qu’il ne déléguait pas et a endossé l’entière responsabilité de ses compositions majeures. Son génie est aussi d’avoir su si bien s’entourer, ce que souligne Konrad Oberhuber en affirmant que la révolution apportée par Raphaël dans le style ornemental n’aurait pu avoir lieu sans Giovanni da Udine. Cependant, l’investigation sur la répartition des tâches dans les grands chantiers décoratifs peut réserver des surprises. De façon inattendue, le grand Giotto peignait en personne les éléments architecturaux et les objets, car lui seul était capable d’en donner une représentation cohérente dans l’espace.
Sous la direction de Roberto Cassanelli, Ateliers de la Renaissance, éditions Zodiaque/Desclée de Brouwer, 96 ill. coul., 520 ill. n&b, 450 F. ISBN 2-7369-0241-6 et 2-220-04223-5.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans le secret de l’atelier
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Dans le secret de l’atelier