Seul ou en collaboration, Daniel Arasse livre cet automne trois ouvrages consacrés à Léonard de Vinci et à la Renaissance maniériste européenne et italienne. Il y déploie un art de la synthèse d’autant plus remarquable que préexiste une littérature très abondante sur ces sujets.
Les publications concernant des artistes aussi célèbres que Léonard de Vinci se heurtent à un obstacle a priori rédhibitoire : l’ampleur des commentaires et la surproduction éditoriale qu’ils ont suscitée découragent les meilleurs auteurs. Les exceptions sont de plus en plus rares, à mesure que le destin du livre d’art devient problématique. L’exception fournie en l’espèce par Daniel Arasse, historien prolixe s’il en est, mérite d’être soulignée en raison non seulement du caractère intrépide de l’entreprise mais aussi des qualités qu’il y déploie. Le continent Léonard de Vinci est aussi vaste et prodigue en lieux communs que complexe et singulier. La synthèse en est délicate et favorise souvent le lyrisme creux ou la fatuité cuistre. Rien de tel ici. Au contraire, l’auteur prend ses distance avec simplicité et fermeté vis-à-vis des clichés mythiques qui, en exaltant la figure du maître, parasitent assez la vision pour que l’œuvre devienne (presque) accessoire.
La fantasia
En le replaçant dans la culture de son temps, qui voit s’initier le décloisonnement des savoirs et des arts, en soulignant les écarts de sa pensée non-orthodoxe, Arasse démontre que Léonard reste à “inventer”, au sens archéologique du terme. Et l’invention qu’il nous propose aboutit à un portrait intellectuel vivant. L’ouvrage commence ainsi par mettre en scène la philosophie de Léonard, plus proche de Dédale que de Pythagore, habité par le démon de l’analogie, et qui possède cette extraordinaire faculté d’imaginer ce qu’il observe. D’une certaine manière, les caractéristiques de cette pensée se laissent mieux circonvenir dans les inventions techniques que dans la peinture. Mais il convient de leur attribuer une juste place dans l’œuvre entier et dans le contexte de la Renaissance. "Il faut donc, si l’on veut comprendre la raison d’être de ces recherches, les rapporter non à une visée effective de production, mais à ce qu’il convient d’appeler la poétique des mécanismes pour Léonard." Arasse n’est pas avare de formules aussi justes que discrètes qui, au-delà de la personnalité exceptionnelle de l’artiste, contribuent aussi à individualiser certains traits de l’esprit moderne. "Léonard, écrit-il ainsi, est le premier à ne plus séparer fantasticare et pensare, et à faire de la fantasia elle-même une faculté conceptuelle." Dans l’ouvrage consacré au maniérisme, où Andreas Tönnesmann s’intéresse pour sa part à l’architecture et à la sculpture, Arasse prend à bras le corps un autre registre de difficultés attachées à pareille notion, qui nécessite à la fois des analyses historiques, esthétiques et philosophiques pour recouvrer tout son sens. Le maniérisme européen de la Renaissance ne peut pas être appréhendé dogmatiquement : là encore, l’art de la synthèse nécessite autant de précautions que de souplesse et de facultés de distance pour que le maniérisme garde ses justes proportions. Ces mêmes qualités se retrouvent dans l’essai plus global sur la Renaissance italienne qui réunit Daniel Arasse et Mario d’Onofrio dans un imposant volume dirigé par Philippe Morel. Le pari, là aussi, présente d’énormes risques compte tenu de la période embrassée, du IVe au XVIe siècle. Mais il est honoré sans que l’on se heurte à la fâcheuse impression de rabâchage, sans que le particulier disparaisse sous d’étouffantes généralités. L’art italien a de beaux jours devant lui.
Daniel Arasse, Léonard de Vinci, éditions Hazan, 504 p., 895 F.
Daniel Arasse et Andreas TönnesÂmann, La Renaissance maniériste, éditions Gallimard, collection "L’Univers des formes", 496 p., 650 F. jusqu’au 31 décembre, 750 F. ensuite.
Sous la direction de Philippe Morel, L’art italien, du IVe siècle à la Renaissance, éditions Citadelles & Mazenod, 640 p., 1 200 F.
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Daniel Arasse revisite Vinci et la Renaissance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : Daniel Arasse revisite Vinci et la Renaissance