Critique d’art - La naissance d’un polémiste

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2013 - 791 mots

Les Éditions de la Différence ont réuni, sous le titre « Le temps des avant-gardes », les écrits que Jean Clair publia entre 1968 et 1978 dans les revues « Chroniques de l’art vivant » et « NRF ».

Reçu en 1966 au concours de conservateur des musées de France, Jean Clair fuit pendant quelques années ce milieu « poussiéreux, ombreux et frileux ». Il s’envole pour Harvard où il étudie la philosophie de l’art. De retour des États-Unis, il dirigera pendant six ans, de 1969 à 1975, une jeune revue militante, Chroniques de l’art vivant, créée par Aimé Maeght. Il publia aussi à cette époque quelques critiques dans La Nouvelle Revue française (NRF). Ce sont ces critiques et chroniques d’art des années 1968 à 1978 qu’a réunies l’éditrice Colette Lambrichs.

Au fil de ces textes, le lecteur voit poindre et s’amplifier l’hostilité du futur académicien à l’égard d’une « avant-garde vite institutionnalisée imposée par les États-Unis, vendue et promue jusqu’à n’être plus qu’une marque de fabrique ». Dans la préface écrite en 2012 qui introduit l’ouvrage, il dénonce avec la virulence et la plume acérée du polémiste qu’on lui connaît « un art qui est à l’oligarchie internationale et sans goût d’aujourd’hui, de New York à Moscou, et de Venise à Pékin, ce qu’avait été l’art “pompier” aux yeux des amateurs fortunés de la fin du XIXe siècle ».

Jean Clair se montre cependant nettement moins incisif dans ses écrits publiés dans Chroniques de l’art vivant que dans ses textes donnés à la NRF. La faute aux pressions qu’il reçoit ? au caractère engagé de cette revue éditée par un marchand d’art ? S’il se moque, aujourd’hui, dans sa préface, « des délicatesses un peu flétries et rabougries de l’école de Paris et du paysagisme abstrait, de Bazaine à Soulages, de Mathieu à Zao Wou-ki », il ménage dans L’Art vivant de larges plages bienveillantes à ces artistes. En témoigne une rencontre entretien avec Bazaine dans laquelle l’artiste de la nouvelle école de Paris loue les vieux peintres comme Braque et Villon à qui « quelque chose semble donné au moment où ils sont physiquement diminués, où ils ont tout oublié ».

La tonalité générale est pourtant bien celle d’une dénonciation de la misère de l’art contemporain. Commence alors à se dessiner sa charge contre « le triomphe du bricolage », de l’objet qui « crépite, râle, tambourine, éructe, vrombit, halète », selon les termes d’un article publié dans la NRF et intitulé « Morale du joujou ou La Ve Biennale de Paris ».

Supports-Surfaces et sa joliesse
La Figuration narrative n’échappe pas aux humeurs du journaliste. « En choisissant de représenter l’art français par des gens comme Télémaque, Raynaud, Rancillac ou Raysse, on choisissait systématiquement les œuvres les plus maladroitement inspirées des courants américains actuels », note-t-il à l’occasion de l’exposition itinérante « Peinture en France de 1900 à 1967 » présentée aux États-Unis par le Musée national d’art moderne et le Centre national d’art contemporain. Le groupe Supports-Surfaces n’est pas non plus épargné. Jean Clair s’élève contre son « consternant simplisme », son art « d’enfoncer les portes ouvertes », « sa joliesse, sa légèreté, sa mignardise où se retrouve le bon goût un peu fade et qui ne tire guère à conséquence ». L’essayiste qui dénonce et déplore la disparition de l’art du portrait – signe selon lui d’un rétrécissement d’humanité –, s’adonne avec délectation, dans ces pages, à cet art de l’observation. Il montre, à la fin de l’année 1970 à Paris, « Warhol sous les colonnades tristes et délitées du Musée d’art moderne […], Warhol, visage d’ange de la mort, exsangue sous l’étonnante chevelure blanche. Warhol et son regard blessé par la lumière comme un lémure. Réfugié dans son mutisme, il regardait, l’œil morne, les évolutions de la petite cour de garçons et de filles qui ne le quitte jamais ».

Le Temps des avant-gardes nous conduit à suivre les pérégrinations du jeune critique de Venise à New York, en passant par Bruxelles ou Cassel. À Venise, il s’incline en 1970 devant les restes de la Biennale où se côtoie « l’art pompier le plus agressif et l’art pauvre le plus misérable ». Contempteur de l’art contemporain, il voit poindre en 1972 lors de la Documenta 5 de Cassel une évolution qui tend à faire de l’exposition l’œuvre d’art, les œuvres finissant « en retour par perdre tout caractère artistique ».

On retrouve dans ces écrits, vieux de quarante ans, les mêmes coups de gueule de Jean Clair contre les musées qu’il brocardera bien plus tard dans L’Hiver de la culture (éd. Flammarion, 2011). « L’œuvre déplacée au musée perd son sens. Les musées, écrit-il, fonctionnent comme des machines à transformer en faux les œuvres vraies.

Jean Clair. Le temps des avant-gardes. Chroniques d’art, 1968-1978

Editions de la Différence, 2012, coll. « Les essais », 384 p., 25 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Critique d’art - La naissance d’un polémiste

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