Puisant dans le fonds des estampes de la Bibliothèque nationale de France, « Fantômes de pierre » redonne vie à des monuments disparus. Une histoire du patrimoine, émaillée d’incendies, de vandalisme et de longs oublis.
Les Parisiens savent-ils à quel édifice était rattachée la tour Saint-Jacques ? Les Lyonnais se souviennent-ils de la première vie du clocher esseulé, près de la place Bellecour ? Et les Dijonnais, se sont-ils déjà demandé pourquoi une « rue du Château » traverse leur centre-ville, bien qu’il n’y ait pas de château ? Ces traces de monuments oubliés font l’objet d’une publication des Éditions de la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui utilise ses fonds pour rafraîchir une mémoire parfois lointaine. Un tour de France, qui commence aux casinos de Dieppe et se termine dans les bagnes de Guyane française, offre une sélection de cinquante lieux parfois complètement effacés, souvent partiellement préservés sous forme de ruines ou de réinterprétations postérieures à leur état d’origine.
Ces « fantômes de pierre » sont ramenés à la vie par les deux auteurs (Frédéric Manfrin, conservateur et directeur du service histoire de la BNF, et Chloé Perrot, conservatrice au département des Estampes et des Photographies) grâce aux mots – qui rattachent chacun de ces monuments à la grande histoire, mais aussi aux anecdotes qui ont marqué la vie locale – et aux images. Deux ensembles sont particulièrement mobilisés dans cet ouvrage : la collection de topographie du département des Estampes et des Photographies, mais aussi les imprimés consacrés à l’histoire, notamment ceux réunis sous la côte « LK7 », traitant d’histoire locale. Sous-exploitée, la collection topographique est pourtant quantitativement l’une des plus importantes du département des Estampes, et constitue un fonds unique pour restituer l’évolution physique du territoire français.
Relevés architecturaux du XVIIIe siècle, photographies d’amateurs d’archéologie du XIXe, et même quelques beaux dessins aquarellés occupent les pages de cet ouvrage : un bel éventail de ce que peut offrir la collection topographique, du règne de Louis XIV aux destructions de la Première Guerre mondiale. En creux, on pourra y déceler le début d’une histoire de l’art de la représentation des monuments : gravures à la portée politique du XVIIIe siècle, lavis romantiques du XIXe et dessins aux ambitions scientifiques des pionniers du patrimoine sont réunis en leur qualité de témoins, non sans indiquer le changement de regard sur ces lieux au destin chaotique.
Quelques personnages reviennent dans ces pages : Prosper Mérimée, évidemment, souvent l’un des premiers à s’émouvoir de la déshérence des traces du passé, ou Claude Perrault qui, dès la fin du XVIIe siècle, fixe par la gravure l’état de certains monuments. Les personnages, ou événements, antagonistes sont connus : le baron Hausmann, les remous de la Révolution française, ou les bombes allemandes de la Première Guerre mondiale. L’histoire de ces monuments reste toutefois plus nuancée qu’une opposition entre destructeurs et sauveurs, et bien souvent l’ennemi le plus dangereux est simplement le temps qui passe. Les changements de propriétaire, d’affectation, achèvent ce que le vandalisme avait commencé.
La sélection des monuments se veut représentative du territoire français, jusqu’à la Corse et les départements d’outre-mer. On compte quelques absents notables, comme les Halles de Paris, qui sont évoquées à travers la Halle au Blé voisine. Fantômes de pierre n’est toutefois pas une histoire des destructions patrimoniales – dans laquelle la disparition du « ventre de Paris » serait incontournable –, mais une évocation de la vie quotidienne des habitants de ces lieux disparus, grâce aux archives. Ainsi, les pages consacrées à la prison de la Petite Roquette ne s’attardent pas sur sa médiatique destruction en 1974, contre laquelle se sont élevés l’historien Michel Vernes ou Michel Foucault, mais retrace plutôt la vie des enfants incarcérés dans l’édifice au plan panoptique.
Parmi les monuments sélectionnés, l’ouvrage donne la part belle à l’Ancien Régime et ses châteaux, que les collections du département des Estampes documentent précisément. Le fonds photographique permet toutefois de varier les typologies : la piscine Deligny à Paris, les destructions de la cathédrale de Reims durant les deux conflits mondiaux, ou la ville de Saint-Pierre en Martinique, détruite par une éruption de la montagne Pelée en 1902, ont été immortalisées par l’objectif.
Dans cette belle utilisation des archives de la BNF, estampes et photographies nous permettent de reconstituer dans notre imaginaire des monuments que nous ne connaissons que par bribes. Les pages les plus intéressantes nous emmènent toutefois à la découverte d’édifices dont l’existence a disparu de la mémoire collective, comme la rotonde des Valois à Saint-Denis, ou le monument honorant les victimes du siège de Lyon en 1793.
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Cinquante ruines ressuscitées par la BNF
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Cinquante ruines ressuscitées par la BNF