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Littérature

Ceci n’est pas un territoire

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 363 mots

Aucun territoire n’est vierge par nature. Il faut, avant qu’il le devienne, que le pas l’ait foulé, que l’œil l’ait distingué, du reste et du néant, et c’est alors seulement, alors qu’il ne l’est plus, qu’il sera reconnu.

Aucune terre n’est étrangère. Et, si elle peut être décrite dans toute son étrangeté, c’est par les mots de la langue qu’on connaît, par l’esprit qui la fait, depuis ses bribes de matière jusqu’à sa réduction au tamis de la pensée, différente des rencontres passées. Analysée, cartographiée, qu’advient-il de la réalité ? Un objet asservi aux vicissitudes des nécessités. Une création imaginaire au travers de laquelle le poète à tâtons recherche ses lumières. Et bien des choses encore qui relient l’âme humaine aux projections qu’elle calque sur sa sphère. En premier lieu, le cerveau est un cartographe qui cherche en permanence à repérer où il est et comment en échapper, quitte à créer de toutes pièces ses points de fuite, ses chemins, ses relais. Aucune carte n’en est jamais finie, leurs bords en sont les témoins, ni dans le temps, puisque tout varie, ni dans l’espace, puisqu’il est relatif, ni dans l’épaisseur du support, qui fait le lien sensible entre la profondeur de l’âme de son cartographe et celle du voyageur qui la parcourt. C’est à cette frange du réel et de sa représentation que naît tout l’art de romancer, de retranscrire, de témoigner. C’est aux confins de la terre, à la Finis terrae, et là où notre connaissance s’arrête, que commence la part des contes et des légendes. La part de l’au-delà demeure la part du rêve. Toute carte est un transfert, au sens de Freud, au sens de Gutenberg, au sens de Google, un déplacement, une impression, une transmission. À l’instar d’une toile, se dessine dans sa trame l’espace d’une œuvre, avant tout humaine et bien souvent sensible. Et, avec Gilles Tiberghien, il convient de relever que « Écrire une authentique œuvre de fiction ne consiste qu’à prendre le temps et la liberté de décrire plus précisément certaines choses telles qu’elles sont. Une authentique description du réel constitue le summum de la poésie, car le bon sens n’en a qu’une vision hâtive et superficielle ».

Gilles A. Tiberghien,
 
Finis Terrae, imaginaires et imaginations cartographiques,
Bayard, 184 p., 21,90 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : Ceci n’est pas un territoire

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