« Quand on est dessinateur, on développe des recettes qui deviennent facilement des tics. C’est une chose que j’ai du mal à accepter. Malgré le métier que j’ai acquis avec le temps, malgré la besogne, je ne cesse de rechercher la vitalité du débutant. Je lutte contre la lourdeur et l’habitude. C’est de cette lutte permanente que naît la tension. »
Blutch, c’est l’intranquillité. C’est la fièvre. Son œuvre tout entière est un débordement magnifique. Sous tension, toujours. Et La Mer à boire, son nouvel album, déborde de cette énergie bouillonnante. Ce « poème d’amour en bande dessinée » est pourtant un ouvrage qu’il a créé sous contrainte : en plein confinement au printemps 2020, à Fécamp où le temps s’est figé, loin de ses pinceaux restés dans son atelier parisien. Mais on ne fait pas tomber la fièvre aussi facilement. Et à défaut de pinceaux, Blutch est retourné à la plume qu’il avait tant utilisée il y a près de trois décennies. « C’est un instrument fragile, pas commode, délicat à manier. On le casse, on se pique… » Il a des tatouages involontaires sur la main, comme autant de preuves de son ardeur au travail, de stigmates de cette souffrance. Mais Blutch n’aime pas plus la facilité que les clichés. L’exigence est le maître-mot qui dicte son œuvre. Il avait abandonné la plume pour les pinceaux à cause de ces fameux tics qu’il rejette si violemment. Lorsqu’il l’a reprise, après avoir identifié chez lui d’autres tics au pinceau dont il a exploré la technique jusqu’au dégoût, il a eu le sentiment de retrouver « un instrument de musique délaissé. Je suis un musicien fantasmé. Il m’a fallu tout réapprendre avant de réussir à remanier mon instrument comme autrefois. » Blutch a beaucoup dessiné le jazz, musique de la tension par définition, qui ne cesse de proposer, d’exposer, de suspendre puis de résoudre. Son univers n’est fait que de cela : de tension, d’intensité, de folie. De danger. Toujours au bord du précipice, sur lequel il marche en funambule, Blutch mène un chemin à nul autre pareil dans un territoire dont il repousse sans cesse les limites. Il parle de dessin comme on parle de musique, reconnaissant travailler ses « gammes », ces motifs à faire et refaire avant d’arriver au dessin final, celui qui va créer une forme de satisfaction. De résolution.
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Blutch, "musicien fantasmé"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°760 du 1 décembre 2022, avec le titre suivant : Blutch, "musicien fantasmé"