L’échec de la vente du Jardin à Auvers laisse plus qu’un malaise. Après tout, on peut s’étonner qu’une œuvre qui aura coûté 145 millions de francs au contribuable s’échoue à 30 millions. L’affaire manifeste l’abstention de ceux-là même qui ont fabriqué ou laissé fabriquer une machine – sinon une machination – risquant de restaurer un pouvoir discrétionnaire de l’administration. Le gouvernement étudierait un projet de loi proposant que le refus de certificat puisse être renouvelé plusieurs fois sans obligation de classement ou d’acquisition, et donc sans indemnisation.
PARIS - Depuis l’origine, l’affaire du Jardin à Auvers semble "téléphonée". À peine rejeté par le Conseil d’État le recours contre le décret de classement (31 juillet 1992), en pleine déprime du marché – le commissaire-priseur chargé de la vente avait justifié cette hâte du collectionneur par ses besoins pressants d’argent –, le tableau est rondement adjugé 55 millions de francs à Jean-Marc Vernes. La demande d’indemnisation est formée séance tenante, sur un préjudice devenu certain par la vente et une argumentation juridique tirant habilement les leçons de l’affaire Schlumpf. Pour boucler son dispositif, le propriétaire entreprend une action pour récuser la donation Walter-Guillaume et annonce son intention de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme si sa demande d’indemnisation n’était pas accueillie. Tout cela pendant que la Direction des Musées de France, pour préparer le marché unique, s’affairait à installer le tournant libéral du système français.
Bien conduite, l’offensive dépasse ses propres objectifs. Le Tribunal d’instance condamne l’État à verser 420 millions de francs à Jean-Jacques Walter. La Cour d’appel – aveuglée par l’enjeu et le précédent Schlumpf qui la dispense de s’interroger davantage sur la nature réelle de la servitude visée par le législateur lorsqu’il a adopté l’article 16 de la loi de 1913 – se contente de limiter les dégâts en fondant son calcul sur la valeur fixée par le propriétaire en 1989 (200 millions, pour l’œuvre qu’il avait estimée 6 millions en 1981).
On connaît la suite. On pouvait au moins espérer que, après des années d’exercice régalien, la France s’était acheté une conduite et un brevet d’équité vis-à-vis des propriétaires "spoliés". Dans cette perspective, l’affaire Walter-Van Gogh aurait constitué un épilogue convenable si le tableau avait été accepté en dation ou acheté pour les collections publiques. Après tout, les conservateurs ne pouvaient pas être inquiétés par les rumeurs sur l’authenticité d’une œuvre dont ils avaient demandé et obtenu le classement comme trésor national.
En ce qui concerne les professionnels avertis et/ou les experts qui s’accordaient à considérer en 1993-1994 que ce tableau était un chef-d’œuvre à 300 millions, rien ne justifiait leur pusillanimité, à moins de considérer que le marché français est arbitré désormais par les journalistes.
Retour aux vieilles lunes
Évidemment, on peut aussi imaginer bien des arrières-pensées : l’espoir d’obtenir à très bas prix une œuvre dont Bercy a dû signifier qu’elle avait déjà coûté trop cher. Peut-être aussi le désir de démontrer à la Cour d’appel, et par-delà aux juges de cassation, que l’appréciation du tableau était excessive. Celui enfin de pousser le pouvoir à conclure sur une réforme du dispositif législatif, ce qu’accréditerait le projet en cours d’étude par le gouvernement proposant que le refus de certificat puisse être renouvelé plusieurs fois sans obligation de classement ou d’acquisition, et donc sans indemnisation.
Cette bouderie généralisée, dont Me Jacques Tajan et ses mandants ont fait les frais, ressemble fort à la politique du pire. Son seul résultat est d’accréditer l’affirmation selon laquelle le classement se traduit par un effondrement du prix de l’œuvre et d’interdire définitivement le recours au classement. Comme il n’y a plus d’argent dans les caisses et que l’opinion va finir par s’émouvoir de l’appauvrissement accéléré du patrimoine dénoncé par les conservateurs, le risque s’accroît très vite d’un retour aux vieilles lunes.
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Van Gogh : consensus pour le pire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Van Gogh : consensus pour le pire