NEW YORK / ETATS-UNIS
Avec un chiffre de ventes de 832,5 millions de dollars et la dispersion de la totalité de ses lots, la collection Rockefeller a battu tous les records, mais n’a pas fait l’objet de batailles d’enchères. Si les lots les plus accessibles ont bénéficié de cette provenance prestigieuse, le jeu des garanties de tiers a nui aux lots star.
New York. La dispersion de la collection de Peggy et David Rockefeller a atteint des sommets et balayé tous les records précédents pour une collection privée, qui plus est à but caritatif. Alors que Christie’s attendait officiellement 500 millions de dollars de chiffres de vente, ce sont 832,5 millions de dollars (1) (698,30 M€) qui ont été récoltés, dépassant largement les collections Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent (342 M€) et Alfred Taubman (382 M€). Cerise sur le gâteau, 100 % des lots ont trouvé preneur. Posséder une œuvre estampillée « Rockefeller » a, à l’évidence, attisé les convoitises.
Très attendue, la première vente du soir consacrée à l’art des XIXe et XXe siècles a réuni, à elle seule, 646 millions de dollars (541 M€). La séance a bien démarré, nourrie par plusieurs enchères pour La Vague (1888) de Gauguin, qui a doublé son estimation (est.18 M$) avec 35 millions de dollars ou encore La Table de musicien de Juan Gris, emporté à 31,8 millions d’euros. Puis est venu le tour de l’Odalisque couchée aux magnolias (1923) de Matisse, adjugé 70 millions de dollars au marteau, conforme à son estimation. Certes, ce score vient presque doubler le précédent record de l’artiste mais « tout le monde s’attendait à ce que les enchères montent davantage et qu’il y ait un effet Léonard de Vinci, alors cela a un peu calmé la salle », raconte l’expert Thomas Seydoux. Ceci s’est confirmé avec la star de la collection, Fillette à la corbeille fleurie (1905) de Picasso, une œuvre précoce qui avait appartenu à Gertrude Stein. Adjugée 102 millions de dollars au marteau, proche de son estimation – et même s’il s’agit du deuxième plus haut prix pour l’artiste après Les femmes d’Alger (179,3 M$) – le tableau n’a pas vraiment généré d’enchères. « Les gens ont été un peu déçus, car la veille de la vente, on commençait à parler de 170, peut-être même 300 millions de dollars, ce qui était assez aberrant, mais compréhensible aux vues de la campagne de marketing très importante », rapporte l’expert. C’était oublier cependant que, même si le tableau était historique, il n’était pas forcément commercial, du fait du sujet peu facile et peu représentatif de l’œuvre du maître. Par ailleurs, ce lot faisait partie des treize assortis de garanties par des tiers (ordres d’achat irrévocables). Les enchères ont commencé à 98 millions de dollars, pour s’arrêter à 102 millions de dollars. Sans emballement. « En présence de garanties aussi élevées, les enchères débutent à des prix tellement hauts que cela laisse peu de marge de manœuvre aux enchérisseurs et refroidit l’ambiance de la salle », observait Thomas Seydoux.
Les Nymphéas en fleur de Monet n’ont pas subi le même sort, parce que le sujet correspondait à une gamme de goûts plus large, notamment pour le marché moyen-oriental et asiatique. C’est d’ailleurs Xin Li, vice-présidente de Christie’s Asie qui a remporté l’affaire, probablement pour un client asiatique, à 75 millions de dollars au marteau. C’est un nouveau record pour le peintre français, toujours extrêmement désiré sur le marché.
L’autre vente du soir, consacrée à l’art des Amériques a aussi été un succès, avec un total de 106,8 millions de dollars en 41 lots, bien au-delà de son estimation haute (67 M$) – soit le plus haut total pour une vente d’art américain. Ici, moins de pression sur les estimations et aucune n’était sur demande. Aussi la grande majorité d’entre elles ont été dépassées.
D’une manière générale, sur les 1 500 pièces dispersées, les « plus petits » lots – par rapport aux lots star – ont davantage fait flamber les enchères, bénéficiant de la provenance Rockefeller et de l’effet « collection ». Tel le Portrait de George Washington par Gilbert Stuart qui a récolté 11,5 millions de dollars sur une estimation haute de 1,2 million de dollars ; le service à dessert Marly rouge commandé par Napoléon emporté à 1,8 million de dollars (est. 150 000 à 250 000 $), une sculpture ovale en marbre d’Henri Moore adjugée près de 4 millions (est. 300 000 à 500 000 $) ou encore un bol en porcelaine chinoise blanche à décor bleu de dragons, XVe siècle, vendu 2,7 millions de dollars (est. 100 000 à 150 000 $).
Si cette vente historique est un succès indéniable, elle démontre une nouvelle fois certaines limites du marché, notamment pour les pièces phare. Devenues incontournables aujourd’hui – plus aucun vendeur ne souhaitant prendre de risque –, les garanties de tiers assorties à ces pièces nuisent à la dynamique des enchères et par conséquent à leur processus même. On finit par assister à des ventes sans feu d’artifice, « comme des ventes privées qui se dérouleraient en public », regrette Thomas Seydoux. Par ailleurs, à force de donner des garanties aussi élevées, tout le monde se convainc que certaines œuvres feront beaucoup plus. « Or, la vente du Léonard de Vinci [450,3 M$, novembre 2017] était un épiphénomène. Tout ne peut pas exploser de manière irrationnelle. Les acheteurs ont quand même les pieds sur terre ! », conclut l’expert.
(1) Tous les prix s’entendent frais compris, sauf indication contraire.
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Une « vente du siècle » sans panache
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Une « vente du siècle » sans panache