D’une qualité irréprochable, le salon suisse a une fois encore fait montre de sa supériorité sur le marché de l’art, à une époque où les foires se multiplient.
Bâle. Art Basel est usuellement la foire de tous les superlatifs. Sa 48e édition, qui s’est tenue du 15 au 18 juin, n’aura pas démenti cette caractéristique tant le salon a renvoyé l’image d’une manifestation au format XL, aussi bien dans la taille et la belle tenue des œuvres proposées que dans les prix.
Du XL voire du XXL concernant ces derniers. Le record de Jean-Michel Basquiat chez Sotheby’s lors des dernières ventes de New York (110,5 millions de dollars) a manifestement suscité des vocations, pour ne pas dire des envies de surfer sur la vague. Ainsi trouvait-on de ses œuvres chez Richard Gray (Chicago) et les new-yorkais Van de Weghe, Acquavella et Lévy Gorvy, pas moins ! Les derniers demandant tout de même 35 millions de dollars pour un triptyque de 1982, enlevé il est vrai, figurant la Sainte Famille.
Mais les (très) gros prix ne se sont pas cantonnés aux œuvres classiques. Exposé à « Unlimited » un sapin de Noël en acier de Philippe Parreno a été vendu pour 1,2 million d’euros par Pilar Corrias (Londres), quand Luhring Augustine (New York) demandait 2,2 millions de dollars pour une sculpture de Christopher Wool et que David Kordansky (Los Angeles) a cédé un grand tableau d’Harold Ancart, dont l’intérêt de la peinture reste encore à prouver, pour la somme de 95 000 dollars.
Du mouvement s’est produit sur le salon, à la fois dans les emplacements et dans les transferts de certains vers le secteur général, à l’image de Freymond-Guth (Zürich), Luxembourg & Dayan (Londres) ou Susanne Vielmetter (Los Angeles). « Le danger, lorsque l’on a du succès, est de demeurer trop statique, car alors la dynamique est perdue », estimait Marc Spiegler, le directeur global d’Art Basel. Pour son arrivée dans la section reine, Tornabuoni (Paris) a réussi un coup de maître en exposant quatre grands tableaux ovoïdes de l’énigmatique série « Fine di Dio » de Lucio Fontana (1963-1964), tous en mains privées. Quant à savoir si au moins un exemplaire était disponible à la vente, et à quel prix ? « Top secret », déclarait Michele Casamonti, le directeur de la galerie.
Si la visite du salon a de toutes parts révélé une très belle qualité générale – à l’exception notable du secteur « Statements », qui hormis la prestation réussie de Guan Xiao chez Antenna Space (Shanghaï) s’est montré globalement inintéressant quand ce ne fut pas médiocre –, il était notable que les accrochages avaient tous été effectués au cordeau, avec souvent des œuvres de grand format, mais rien qui ne dépasse et nulle audace dans les formes ou les installations. Probablement le signe d’un marché encore tendu, où même dans le temple bâlois un faux pas peut être fatal. Mais un galeriste berlinois analysait également : « Les gens veulent aujourd’hui pour la plupart du portable, facile à déplacer et à installer. Si vous prenez des risques, hormis si c’est quelque chose de bruyant qui fait du buzz, vous n’êtes pas payé en retour. » Voilà qui pourrait aisément se définir comme un retour d’une forme de conservatisme.
Notable était également le fait que Liste, la principale foire off que beaucoup considèrent comme une antichambre d’Art Basel, avait cette année belle allure également. On y trouvait certes encore quelques propositions gadgets ou terriblement ignorantes, à l’instar de ces compressions cubiques de radiateurs par Éloïse Hawser (VI, VII, Oslo) qui manifestement n’est pas allée jusqu’au chapitre « Nouveau Réalisme » de son manuel d’histoire de l’art et semble méconnaître l’existence de César, pourtant pas franchement un inconnu. Mais globalement, la visite y fut agréable et l’occasion de quelques beaux rendez-vous comme les très réussis solo shows de Carlos Reyes chez Joseph Tang (Paris) et de Gizela Mickiewicz chez Stereo (Varsovie).
Un leader surpassant ses concurrents
Cette édition d’Art Basel a encore renforcé son écrasant caractère de leader surpassant allègrement ses concurrents, à la fois par ce qui y est proposé et par le nombre et la variété de sa clientèle – toujours plus d’Asiatiques notamment, effet Hongkong oblige. Elle coïncidait cette année avec la diffusion de plus en plus entêtante de la petite musique d’un renforcement des foires dites régionales, qui viendraient à la rencontre d’un autre public pour compenser le fait que les collectionneurs affirment de plus en plus vouloir moins voyager pour des événements commerciaux. Une musique encore plus appuyée depuis qu’il y a peu Art Cologne a annoncé la création d’une foire berlinoise en lieu et place d’ABC Berlin, et que MCH Group, la société propriétaire d’Art Basel, souhaite relancer Art Düsseldorf dont elle a acquis 25,1 % des parts. Ses promoteurs d’ailleurs étaient à l’œuvre, tentant surtout de convaincre des galeries émergentes de les rejoindre, tant il paraît peu probable que les grosses enseignes se laissent tenter. Le pari est néanmoins loin d’être gagné tant c’est le scepticisme qui accompagne ces initiatives. Un exposant européen de Liste affirmait ainsi : « Ces gens vont à l’encontre du sens de l’histoire. Nous faisons tous ici six ou sept foires par an et rêvons de n’en faire plus que deux ou trois, car les seuls endroits où l’on vend sont Bâle, Miami et un peu à Londres et à Paris. »
Les débouchés commerciaux de ces salons apparaissent loin d’être assurés en effet. Un participant de la dernière édition d’Independent Brussels, pourtant pas le plus régional des marchés, affirmait ainsi n’avoir strictement rien vendu avec des œuvres entre 2 500 et 5 000 euros. Et un autre de renchérir en déclarant qu’« Art Cologne a été catastrophique pour tout le monde. » Ce qui finalement faisait dire à un exposant d’Art Basel que « ces initiatives ressemblent à un enfumage dont le seul but est de vendre des mètres carrés. »
Loin d’envoyer le signal d’une dispersion géographique sans fin du marché, la domination d’Art Basel ressemble à l’inverse à un mouvement de concentration. Si la nature a horreur du vide, le marché de l’art également, mais gare au trop-plein et aux tiraillements dans tous les sens.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un florilège d’œuvres rares
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Un florilège d’œuvres rares