Tous les amoureux de l’art rêvent d’une chose : que la crise amène enfin à faire le distinguo entre une œuvre et un produit.
Le tri sélectif est déjà en cours. Mais la récession provoquera-t-elle un changement de contenu ? Dans un sursaut de puritanisme, la crise des années 1990 avait mis au pilori une peinture considérée comme « richarde », au profit d’une génération d’artistes travaillant davantage sur l’immatériel, l’échange, le ténu et le fragile. En sera-t-il de même aujourd’hui ? Il est certain que, avec le frein mis à la production par les galeries, les œuvres feront moins de la gonflette. Le « spectacle superlatif », pour reprendre la formule du critique d’art Paul Ardenne, est provisoirement délaissé pour d’autres pratiques. Il n’est pas anodin que la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) ait programmé l’an dernier une série de performances. Ou qu’Art Basel fête en juin prochain à Bâle son quarantième anniversaire avec l’exposition-performance « Il Tempo del Postino », au cours de laquelle les artistes invités par Hans Ulrich Obrist et Philippe Parreno créeront des œuvres individuelles en temps réel, sur une durée n’excédant pas quinze minutes. Du côté des foires, on opte pour la petite musique de chambre plutôt que pour la grosse caisse. Sur l’ARCO, en février à Madrid, le galeriste berlinois Matthias Arndt a montré une pièce ancienne extrêmement sobre du pourtant très « volubile » Thomas Hirschhorn. Signe des temps, le Parisien Emmanuel Perrotin tend à ne plus saturer ses stands. Certains supports discrets voire secrets comme le dessin sont en vogue. Sans doute parce que, comme le souligne le galeriste new-yorkais Denis Gardarin, « les gens ne veulent plus être pris en flagrant délit de dépenses ».
« Épate rapide »
Mais, chassez le naturel, il revient au galop. Les turbulents Young British Artists avaient sonné en 1997 le retour d’une culture foraine, ce que Paul Ardenne appelle la « culture sensass ». « Le sensass, procédure d’épate rapide, peut aussi se faire facteur d’inscription : durer grâce aux scandales que l’on orchestre, aux outrances que l’on incarne, grâce aux postures extravagantes que l’on affiche », explique-t-il dans Extrême. Esthétique de la limite dépassée (1). Reste à voir quelle sera la « culture sensass » de demain…. Pour l’heure, ce qui frappe, c’est la flopée d’œuvres tournant en dérision l’effondrement des cours boursiers ou la débâcle de certaines stars. L’Espagnol Eugenio Merino représente ainsi Damien Hirst se tirant une balle dans la tête pendant qu’Elmgreen & Dragset inscrivent sur un marbre cassé : « Tout le monde est fauché. » Opportunistes et gadgets, ces pièces ne vont pas révolutionner notre époque. À l’image du discours actuel des marques, elles se contentent de fonctionner sur l’empathie. Rappelons que le grand magasin anglais Selfridges & Co a lancé en octobre 2008 un chocolat baptisé « Credit Crunch ». De son côté, la marque KitKat a mis en scène un courtier dégustant une barre pendant que les Bourses dévissent. Pas très éloigné du courtier encagé de Gianni Motti. À la différence près que l’artiste suisse a réalisé cette pièce bien avant la débâcle…
(1) éd. Flammarion, 2006.
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Un art de crise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : Un art de crise