Entretien

Serge Le Borgne, galeriste

« L’art a toujours fait partie de moi »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 818 mots

Serge Le Borgne a ouvert sa galerie dans le Marais en 1998. Il expose Claudio Parmiggiani à partir du 19 janvier.

Comment passe-t-on d’une activité de trader à une galerie réputée pour son ancrage dans l’histoire de l’art et son refus du mercantilisme ? N’y a-t-il pas un là paradoxe ?
Mon métier était à l’opposé de mon travail actuel, mais ma vie ne l’était pas. L’art ne m’est pas tombé dessus, il a toujours fait partie de moi. J’ai arrêté mon métier d’origine en 1996, et j’ai ouvert ma galerie en allant voir des artistes comme Gloria Friedman, Christine Borland, Rémy Zaugg ou Marthe Wéry qui m’ont tout de suite aidé. Évidemment, je ne peux pas dire que mon but soit l’argent, mais l’argent est la clé du système comme dans toutes les entreprises. Mon premier objectif est très personnel, égoïste, c’est celui de travailler avec les artistes, les découvrir, les aider, et tenter ensuite de faire découvrir leur travail aux autres, et ce, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, connus ou moins connus.

Y a-t-il malgré tout des similitudes dans les deux activités ?
Nous ne sommes pas dans le même modèle économique. Le jour où une galerie entrera au CAC 40, faites-moi signe ! Ceci étant dit, cela arrivera peut-être plus vite que je ne le pense, par le biais des fonds d’investissement. À ce moment-là, la boucle sera bouclée et je serai revenu à ce qu’était mon premier métier. Rémy Zaugg m’a dit : « Tu es là pour manifester une certaine résistance ». L’art doit être au-delà des phénomènes de mode.

Précisément, la mode récupère de plus en plus l’art par des projets présentés comme du mécénat...
Chanel et Hermès ont chacun sorti un projet lié à l’art contemporain (lire p. 26). Que fait Chanel ? Elle fait réfléchir des artistes sur la marque. C’est une sorte de publi-rédactionnel, une trahison d’après moi de l’image de cette maison. Hermès de son côté a compris que l’art contemporain est incontournable et cherche un moyen intelligent de produire les œuvres des artistes. Là est toute la différence. D’un côté, Chanel prend l’art comme un phénomène et en fait un produit de mode, de l’autre, Hermès construit une vision à long terme. Évidemment, on va me dire qu’Hermès a aussi choisi une de mes artistes, Valérie Mréjen, et c’est la raison pour laquelle je les défends. C’est faux. Je n’avais pas aimé, par exemple, le défilé qu’ils avaient organisé à la Biennale de Lyon en 2005. Ils ont mis du temps, mais ils ont trouvé la bonne solution pour apparaître dans le champ de l’art contemporain.

Comment tenez-vous dans le paysage actuel en choisissant le parti d’une certaine discrétion ?
On tient avec des collectionneurs fidèles qui n’oublient pas que l’art est un ciment entre les gens. La discrétion, c’est aussi une façon de se dire : partons du concept, de la réflexion des artistes, on s’amusera après. Tout ne peut pas être toujours beau, chic et brillant ! Mes artistes parlent du « contemporain » en s’inscrivant dans une certaine filiation à la peinture, la sculpture ou au cinéma. C’est dur de tenir sur ce positionnement, mais c’est un métier où l’on ne devrait pas faire de compromis. Rémy Zaugg me disait : « L’œuvre d’art, je l’ai à 100 % dans ma tête. Quand je la réalise, elle perd déjà de sa force. Quand je te la donne à vendre, elle perd encore de cette force et quand tu la vends, elle en perd encore plus. »

La baisse des crédits des institutions a-t-elle une incidence sur votre activité ?
Pas vraiment en ce qui concerne les FRAC. Je pense cependant que la baisse des crédits aux musées peut devenir un problème. Je crois qu’on oublie aussi un peu vite le FNAC (Fonds national d’art contemporain), dont les membres du comité d’acquisition ne sont pas attachés à la mode, mais à ce qu’ils pensent être une œuvre de qualité.

Pourquoi faites-vous peu de foires ?
J’ai fait l’Armory Show, l’ARCO, Artissima. Je suis à Bruxelles. Évidemment, je voudrais être à la Foire de Bâle. Mais c’est vrai, j’ai du mal avec les foires-supermarchés, avec des œuvres en tête de gondole. Il y a une grosse différence entre Bâle et Miami. Il aurait été plus intéressant d’emmener Bâle à Miami au lieu de s’acclimater à la donne locale.

Comment jugez-vous la situation de l’art contemporain en France ?
Si je montrais des choses légères et non connectées à l’histoire de l’art, je dirais sans doute que la situation est bonne. À partir du moment où l’on se dit un peu en résistance, c’est que ça ne va pas trop. Les grands collectionneurs français ne défendent sans doute pas assez les artistes français. Ils se laissent également trop séduire par certaines têtes de gondole.

Galerie Serge Le Borgne, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 74 53 57, http://www.cent8.com.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Serge Le Borgne, galeriste

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