Antoine de Galbert dévoile une partie de son fonds à Grignan.
GRIGNAN - Dans la foulée de la double exposition vénitienne de la collection Pinault au Palazzo Grassi et à la Pointe de la Douane, le marchand Josh Baer, auteur d’une newsletter sur les coulisses du marché, a eu ce mot cruel à partir du titre de l’événement : « “Mapping the Studio” (littéralement “faire un plan de l’atelier”), pourquoi pas plutôt faire un plan précis de comment dépenser vite des millions ? » D’autres amateurs choisissent la porte étroite, en exposant par touches discrètes dans des sites peu glamour ou non labellisés. Telle est la voie suivie par Antoine de Galbert. Après avoir montré une vingtaine de pièces de sa collection en marge de l’exposition « Tetsumi Kudo », à La Maison rouge à Paris en 2007 – une présentation passée plutôt inaperçue –, voilà qu’il déploie cet été une quarantaine d’œuvres à l’Espace François-Auguste Ducros à Grignan (Drôme). Une initiative qu’il souhaite poursuivre en présentant un panel réduit de son fonds d’ici à deux ans au Musée Joseph-Denais à Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire). « J’ai besoin de faire plein de petits trucs pour me faire la main, tester des thématiques, me réhabituer aux œuvres que j’ai, et que, pour la plupart, je n’ai vu qu’une fois au moment de leur achat », confie Antoine de Galbert. Et d’ajouter : « Au départ, je ne voulais rien faire. C’est compliqué de se situer entre modestie, fausse modestie, peur et fierté. Mais il faut que je le fasse, ne serait-ce que pour les artistes. Ça ne sert à rien de stocker, c’est un plaisir morbide. Il faut se battre pour une certaine idée de la collection ; celle-ci n’a pas à être la plus belle, la plus riche, mais une source de plaisir et de découvertes. »
Obsession, fétichisme et voyeurisme
Humble par sa taille, l’exposition de Grignan déployée dans trois petites salles est néanmoins bien construite, autour d’artistes singuliers. Autant certaines collections privées offrent des « scans » du marché, autant celle d’Antoine de Galbert compose un autoportrait du personnage, avec ses failles et ses goûts. Le caractère obsessionnel prime chez les quatre artistes japonais accrochés dans la première salle. Obsession des cercles formant des nébuleuses et autres étranges galaxies de l’artiste autodidacte Hiroyuki Doi. Fascination organico-sexuelle de Naoko Majima, seconde femme de Tetsumi Kudo, représenté quant à lui par une litanie phallique sous cloche ; ou encore épidémie de points par Yayoi Kusama. Marqués par le traumatisme d’Hiroshima, que vient rappeler la photographie d’une explosion nucléaire, ces créateurs offrent une lecture pessimiste et ironique du monde. C’est d’ailleurs un paysage lunaire presque post-apocalyptique que donne à voir l’installation mystérieuse de Nobuko Tsuchiya.
Dominée par le Cri d’Arnulf Rainer, la deuxième salle plonge le visiteur dans les méandres de l’art brut. Un mur agencé façon cabinet de curiosités décline aussi bien une œuvre arachnéenne d’Unica Zürn qu’une peinture d’Augustin Lesage ou un collage d’épluchures de Philippe Dereux. Ailleurs, un lien se tisse sourdement entre le voyeurisme soft des photos de Miroslav Tichy et un assemblage brinquebalant d’Emile Ratier, lequel s’échinait à reconstruire des monuments malgré sa cécité avancée. C’est le décompte du temps que met en scène la troisième salle du parcours, avec un dialogue insolite entre deux compteurs obsessionnels, Roman Opalka et Henri Ughetto. Un Détail tout en délicatesse du premier fait face à l’armada baroque des vingt mannequins imputrescibles du second.
À l’été 2010, Antoine de Galbert renouera avec l’étrangeté en exposant dans sa fondation parisienne trois cents coiffes primitives accompagnées d’une vingtaine d’œuvres ayant un rapport avec l’œil. Un avant-goût en attendant l’exposition en deux volets de sa collection d’art moderne et contemporain, prévue pour 2011.
« JE COLLECTIONNE », collection Antoine de Galbert, jusqu’au 13 septembre, Espace François-Auguste Ducros, place du Jeu-de-Ballon, 26230 Grignan, du mercredi au dimanche 14h30-19h.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : Porte étroite