Les Cahiers français consacrent leur premier numéro de 2003 à l’examen des relations nationales entre “Culture, État et marché ?. Une synthèse et des rappels bienvenus alors que les cartes se redistribuent rapidement dans le domaine de la politique culturelle.
L’analyse des politiques fiscales ne peut se passer d’un inventaire des contextes. Dans ce sens, l’ensemble de notes regroupées dans la livraison de janvier-février 2003 des Cahiers français apporte des perspectives. Les communications sont regroupées en trois parties consacrées successivement aux “Pouvoirs publics et politiques culturelle”, à l’“Économie de la culture” et aux “Nouveaux enjeux pour la culture”.
La première section s’ouvre par un regard historique sur “L’État et la dimension culturelle”, de “L’invention de la politique culturelle” par André Malraux aux priorités nouvelles (dans la continuité) définies par le ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon. Philippe Poirier (1) conclut de cet examen que “les politiques publiques de la culture s’inscrivent dans une indéniable continuité malgré des infléchissements significatifs”, et souligne “leur rôle dans la régulation du paysage culturel”. In fine, il observe que “la faiblesse relative des budgets engagés par les pouvoirs publics, le poids grandissant des industries culturelles à l’horizon mondial, les pratiques culturelles marquées par un indéniable éclectisme empêchent de voir dans l’État le deus ex machina de la vie culturelle française”. La suite des notices de cette partie explique cette position, en insistant sur le poids des collectivités territoriales, et quelquefois sur les inquiétudes qu’elles suscitent (les élus roulent-ils pour eux ou pour la culture ?), sur les problèmes de choix dans le “tout culturel” et la très relative démocratisation des pratiques culturelles.
L’économie de la culture est d’abord examinée dans la perspective de l’exception ; mais qu’est-ce qui justifierait une telle exception ? Si les éléments d’analyse sont très intéressants, la conclusion manifeste une perplexité, puisque, après avoir mentionné l’évolution “vers un État incitatif et garant du jeu concurrentiel”, Stéphanie Peltier (2) note : “Le débat sur le sort à réserver aux produits culturels ne semble pas devoir se réduire à la simple alternative libre-échange/protectionnisme. Entre ces extrêmes, la place existe pour des mesures incitatives et distributives. Concilier les termes d’exception et de diversité culturelle devrait aussi constituer une priorité.” Les déclinaisons de la réflexion économique – notamment sur “la question du prix des biens culturels –, la concentration de l’offre – sur l’exemple de l’édition –, et l’internationalisation du marché de l’art nourrissent cette perplexité.
Classées dans les enjeux, les communications : “Le spectacle vivant et l’aide publique” (comportant en particulier une analyse du système d’indemnisation des intermittents du spectacle), “Droit d’auteur à l’épreuve”, enfin “Culture et télévision”, proposent des approches mêlant les considérations économiques et prospectives pour ouvrir sur d’autres questionnements.
Une notice consacrée par Sabine Rozier (3) au mécénat culturel des entreprises trace les évolutions “de l’entreprise-guichet à l’entreprise monteuse de projets” et révèle une inquiétude : “On peut craindre, à terme, que le développement […] ne conduise à privilégier des propositions esthétiques en adéquation avec les exigences réputationnelles des entreprises (productions faciles d’accès, consensuelles, divertissantes ou décoratives)...”.
Les nouveaux enjeux présentés dans la dernière partie concernent d’abord le patrimoine et la décentralisation.
Jean-Michel Leniaud (4) se prononce pour cette décentralisation, en particulier le transfert immédiat à l’échelon communal de l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, avec des compensations financières de l’État permettant le recrutement des compétences nécessaires.
Les questions liées aux nouvelles missions et à la gestion des musées sont considérées en particulier dans le contexte de “la décentralisation et [de] la diversification des missions muséales”, conduisant à des questions sur la pérennité du label “musée de France”, car “on peut imaginer à moyen terme que la montée en puissance des collectivités locales, elles-mêmes mues par des stratégies d’images qui leur sont spécifiques, se trouve en contradiction avec ce label national. Dès lors qu’elles assument l’essentiel du financement de leurs établissements, en quoi l’appellation de ‘musée de France’ serait-elle plus porteuse en termes d’image et de production d’identité régionale que l’appellation ‘musée de Provence’, ‘du Poitou’ ou ‘du Dauphiné’... ?”. Au-delà même, écrit Martine Corral-Regourd (5), “ne peut-on pas se demander si la relation entre l’État et les collectivités locales ne manifeste pas quelque parenté avec la relation entre secteur public et secteur privé” et, citant Thomas Krens, directeur de la Fondation Guggenheim : “Au moment même où les pouvoirs publics modernes veulent réduire leur budget et transférer autant que faire se peut des responsabilités au secteur privé, ces mêmes pouvoirs publics veulent attirer à eux le prestige du projet culturel.”
On respire : les problèmes évoqués dans les Cahiers français ne sont pas que le reflet d’un syndrome gaulois. Même les Américains en rencontrent quelques-uns...
(1) Maître de conférence d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne.
(2) Universités de Paris-I et de La Rochelle.
(3) Maître de conférence en sciences politiques, université de Picardie-Jules-Verne.
(4) Directeur d‘études à l’École pratique des hautes études en sciences sociales, Paris.
(5) Maître de conférence en sciences de l’information.
Cahiers français, n° 312, janv.-fév. 2003, éd. La Documentation française, 9 euros.
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Politique culturelle : un état des lieux rétrospectif
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Politique culturelle : un état des lieux rétrospectif