L’acheteur d’une œuvre d’art ne dispose d’aucun droit de rétractation dans les foires et les salons, mais les professionnels du marché ne doivent pas occulter l’application du droit commun des contrats.
Il était une fois un collectionneur qui parcourait la nef du Grand Palais. Fasciné par la grâce et la légèreté d’une verrière restaurée, qu’illumine subitement une lumière, l’œil du collectionneur tombe immédiatement sous le charme. Il est décidé : il doit acquérir coûte que coûte l’œuvre d’art. Après négociation, le marchand et le collectionneur se mettent d’accord et signent un contrat de vente ou un bon de commande. Le prix est encore un peu élevé mais il se dit qu’un esthète vit toujours au-dessus de ses moyens. Et si la passion divine venait à disparaître, le collectionneur se convainc qu’il pourra toujours se rétracter dans les quatorze prochains jours. Or au dixième jour, le collectionneur se trouve fort dépourvu quand le marchand lui indique qu’il n’existe aucun droit de rétraction : vous achetiez ? j’en suis fort aise. Eh bien ! collectionnez maintenant.
Cette fable contemporaine peut prêter à sourire mais elle rappelle la croyance erronée selon laquelle le collectionneur-consommateur jouirait d’un droit de rétractation de quatorze jours lors de l’achat d’un tableau, d’un dessin ou d’une sculpture sur une foire ou un salon. Il est vrai que le droit de rétractation est le droit qu’a un particulier de revenir sur son acquisition – généralement dans un délai de quatorze jours – sans avoir à motiver sa décision, lorsque le vendeur est un professionnel. En réalité, le Code de la consommation n’accorde cette protection que dans le cadre des ventes « hors établissement ». Tel n’est pas le cas des ventes publiques aux enchères (sauf ventes totalement dématérialisées), des foires et des salons (sauf s’il y a un crédit affecté) : le droit de rétractation est inexistant !
Cette absence de rétractation est certes avantageuse pour les marchands d’art mais les obligations qui pèsent sur ces derniers sont lourdes. Ils doivent afficher de manière visible pour les consommateurs – sur un panneau ne pouvant pas être inférieur au format A3 et dans une taille de caractère ne pouvant être inférieure à celle du corps 90 – la phrase « Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour tout achat effectué dans [cette foire] ou [ce salon], ou [sur ce stand] ». En outre, ils doivent aussi mentionner, dans le contrat de vente ou le bon de commande, la phrase : « Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour un achat effectué dans une foire ou un salon », en en-tête du contrat et dans une taille de caractère qui ne peut être inférieure à celle du corps 12. Or, ces obligations ne sont pas toujours respectées par les marchands alors même qu’ils encourent une amende administrative allant de 3 000 à 15 000 euros (article L. 242-34 du Code de la consommation). La vigilance est donc de mise car, en pratique, ces règles strictes sont peu respectées : un écrit est rarement formalisé puisque l’on est « entre gentlemen ». Le marchand et l’acheteur se mettent d’accord à l’oral et le dernier paye quand il veut. S’il se rétracte, il est d’ailleurs peu fréquent que le marchand le poursuive…
Pour autant deux échappatoires existeraient pour les collectionneurs-consommateurs. La première réside dans le contexte de l’achat : si le marchand invite l’acheteur-consommateur, qui se trouve dans l’allée commune, à visiter son stand et qu’il parvient à lui vendre une œuvre, le consommateur bénéficie du droit de rétractation. Le diable est dans le détail mais il s’agit de la solution énoncée par la Cour de justice de l’Union européenne le 17 décembre 2019. Le consommateur qui souhaiterait se rétracter se heurte toutefois à une difficulté : comment démontrer que c’est le vendeur qui l’a attiré à lui ?
La seconde se situe dans le droit commun des contrats, à telle enseigne que la Cour de cassation a opté, le 20 décembre 2023, pour une jurisprudence protectrice envers les personnes sollicitées sur les foires et les salons en passant par l’obligation d’informations précontractuelles des professionnels. Ainsi, le contrat de vente doit préciser les caractéristiques essentielles de l’œuvre achetée, les délais de livraison et/ou d’installation, sous peine de voir le contrat vicié pour erreur et être annulé. La sanction est ici plus sévère pour les marchands que s’il y avait rétractation. Une revue de la documentation contractuelle s’impose alors pour être bien conforme.
Afin d’aller plus loin dans la protection des collectionneurs-consommateurs, deux propositions de loi ont été déposées devant l’Assemblée nationale et le Sénat en 2019 afin d’étendre le droit de rétraction aux contrats conclus dans les foires et dans les salons. Mais leur avenir demeure bien incertain, l’une ayant d’ailleurs été retirée. Or, cette idée n’est pas sans intérêt puisque la notion de vente « hors établissement », dégagée par la jurisprudence de l’Union européenne en 2018, serait en contradiction avec le droit français. Le collectionneur-consommateur disposerait donc d’un levier pour tenter d’opposer l’existence d’un droit de rétraction.
Pour donner plus de transparence et de sécurité à chaque partie, rien n’interdit aux marchands d’inclure une clause de rétractation dans leur contrat de vente ou bon de commande. Celle-ci peut leur permettre d’être rapidement fixés tout en constituant un argument de vente.
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Pas de droit de rétractation dans les foires et les salons
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : Pas de droit de rétractation dans les foires et les salons