Organisée du 13 au 16 novembre, la foire de photographie Paris Photo se met à l’heure nippone. Priorité est donnée aux expositions thématiques et monographiques.
Un album proposé par la galerie Lumière des Roses (Montreuil) pourrait servir de métaphore à cette nouvelle édition de Paris Photo. Sorte de roman-photo réalisé vers 1940 par une Allemande anonyme, ce document met en scène une romance cocasse entre Mickey et une poupée japonaise. La rencontre de l’Empire des images et de l’Empire des signes, pour reprendre la formule de Roland Barthes ! Il est vrai que l’attraction est extrême entre les deux nations. « Tous les groupes de musées américains comme le Cincinnati Art Museum, le Houston Museum, le Lacma [Los Angeles] ou le Getty Museum [Los Angeles] viennent malgré la crise économique, car nous avons fait le choix du Japon pour le Statement. En 2007, l’Italie nous avait privés de cette arrivée-là, tout comme la grève l’an dernier », indique Guillaume Piens, directeur artistique de l’événement.
Après le flottement perceptible en 2007, la foire affiche un taux de renouvellement de 35 %, le plus fort depuis 2002. Le toilettage était d’autant plus nécessaire que le salon s’était engagé l’an dernier sur une pente glissante, en privilégiant l’image, choc ou fade, et non le sens. « On a sanctionné une dérive décorative, observe Guillaume Piens. Il n’y aura jamais eu autant d’expositions monographiques ou thématiques que cette année. On va retrouver une lisibilité d’accrochage. » Une clarté de mise avec l’exposition personnelle de Martin Parr chez Janet Borden (New York), celui d’Alec Soth chez Weinstein (Minneapolis) ou encore le focus sur Guillaume Leingre et Guillaume Lemarchal chez Michèle Chomette (Paris). Mais le liant principal viendra de la photographie nippone (lire p. 20). Tous les participants se sont donné le mot pour rendre hommage à l’Empire du Levant, à son goût de l’effleurement et de l’ambiguïté, à son érotisme intense et sa quête de l’invisible. La galerie Camera Obscura (Paris) active des correspondances entre maîtres français et japonais, mettant face-à-face Shoji Ueda et Lartigue, les fragments de mémoires de Masao Yamamoto et Sarah Moon (lire p. 21), ou les photographies d’architectures de Yasuhiro Ishimoto et Lucien Hervé. De son côté, Baudoin Lebon (Paris) rend hommage à Keiji Uematsu. Cette omniprésence nipponne (près de cent trente artistes !) ne risque-t-elle pas de provoquer une overdose similaire à celle éprouvée l’an dernier devant la surreprésentation transalpine ? Une recrudescence de certaines stars comme Araki ou Moriyama est ainsi prévisible. « Je préfère un axe fort plutôt qu’un centre mou. La photographie japonaise est intense, de bonne qualité, et sous-évaluée, défend Guillaume Piens. Il n’y a aucune galerie dont nous ne soyons pas sûrs. On a fait un travail d’affinage pour qu’il n’y ait pas de doublons. »
La typologie de l’acheteur
Reste à voir si les efforts des uns et des autres auront raison des vicissitudes financières. « Nous ne vendons pas de photographie spéculative, observe Philippe Jacquier, directeur de Lumière des Roses. Nos clichés amateurs ou anonymes valent entre 500 et 3 000 euros en moyenne, je ne demande pas un investissement de 200 000 euros. Mes clients connaissent la photo, et savent que notre spécialité est dure à trouver. » La méthode Coué est de rigueur ! À l’instar de leurs homologues partis à la conquête de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), les nouveaux arrivants américains espèrent trouver sous nos cieux un climat économique plus amène et des acheteurs moins timorés. « Les gens à New York font une pause. L’attitude est au wait and see. Nous avons une clientèle à 90 % américaine, du coup on cherche à la diversifier », explique Matthew Whitworth, directeur de la galerie Janet Borden (New York). Un point de vue déroutant quand on sait que le marché de la photographie porte haut les couleurs de l’Oncle Sam. D’après la base de données Artprice, les États-Unis détenaient en 2007 54,31 % de parts de marché contre 3,58 % pour la France. La frilosité perceptible outre-Atlantique pourrait néanmoins réfréner le flux des collectionneurs privés américains, même si les musées sont du voyage. « Si les Américains ne viennent pas en raison des élections présidentielles ou de la crise économique, ce n’est pas un grand problème pour nous. Je ne viens pas pour attraper des Américains mais des Européens », observe Robert Mann. Et d’ajouter : « je vais venir avec des pièces très reconnaissables, mais pas prévisibles, pas forcément le livre d’histoire de la photographie avec les acteurs les plus connus. » Celui-ci prévoit un mur avec des photos de nus notamment par Harry Callahan et Ellen Auerbach, mais aussi les paysages post-industriels ou post-cataclysmiques de Mary Mattingly.
Pour appâter le chaland, toutes les galeries ont élargi leurs fourchettes de prix. Un choix d’autant plus circonstancié que d’après Artprice, 75,78 % des lots vendus aux enchères en 2007 étaient inférieurs à 10 000 euros et seulement 2,20 % supérieurs à 100 000 euros. « Nous sommes un peu inquiets. Nous avons essayé d’amener des choses à partir de quelques centaines d’euros, jusqu’à 50 000 livres sterling [63 000 euros]. Il y a toujours des gens qui préfèrent acheter une grosse pièce, mais d’autres plutôt de petites pièces », confie Lindsey Stewart, responsable de la photographie chez Quaritch (Londres). La galerie fait son entrée avec des calotypes britanniques et des clichés autour de l’idée de la preuve ou de l’autopsie.
Même si en termes de parts de marché le contemporain tient le haut du pavé avec 51,60 % du segment des enchères, ce domaine peine à trouver sa place dans le salon. Car tout dépend de ce qu’on entend par « contemporain ». Ce segment paraît à géométrie variable qu’il s’agisse des images percutantes de Frédéric Delangle, Paul-Armand Gette ou René et Radka chez Philippe Chaume (Paris) ou du questionnement sur l’homme et la ville de Vera Lutter et Valérie Jouve chez Xippas (Paris-Athènes). De son côté, La Fabrica (Madrid) se concentre non sur des photographes purs et durs, mais des artistes contemporains usant du médium photographique comme Marina Abramovic ou Kimsooja. La foire sera enfin l’occasion de larguer les amarres vers l’Inde. Sepia International (New York) donne le ton en réunissant notamment Raghubir Singh et Sunil Gupta autour du thème du souffle et de l’esprit, tandis que Nature Morte (New Delhi, lire p. 27) propose Dayanita Singh. Le glissement géographique de Paris Photo vers l’Est s’intensifiera l’an prochain avec un statement sur la photographie arabe et iranienne sous la houlette de la commissaire d’expositions Catherine David. En revanche, les organisateurs ont pour l’instant gelé la bouture londonienne, Photo London, faute d’un lieu et d’un calendrier opportuns. En temps de crise, il ne fleure pas bon de courir plusieurs lièvres à la fois !
Réputé pour la qualité de ses appareils photo, le Japon a adopté et adapté la photographie en s’inventant une nouvelle image. Le décalage entre la créativité patente des photographes japonais et leur appréciation historique rendent les prix relativement abordables, de l’ordre de 2 500 dollars pour un maître comme Hiromi Tsuchida, 2 500 à 55 000 euros pour les images du quotidien par Rinko Kawauchi, présentée en 2005 à la Fondation Cartier. Même une jeune starlette comme Asako Narahashi affichait des prix de l’ordre de 2 500 dollars en décembre dernier sur Photo Miami. Les petits formats d’une pointure comme Daido Moriyama s’échangent entre 3 500 et 7 000 euros. Son record en vente publique date de mai dernier avec 31 700 livres sterling pour Smash up, un petit tirage de 1969. Ces tarifs modestes s’expliquent notamment par la reconnaissance tardive de la photographie comme art majeur au Japon. Les livres de photo (lire p. 21) réalisés dans les années 1960-1970 sont toutefois très prisés à l’étranger. Ces derniers révèlent le trouble des Japonais face aux tremblements de terre, à l’arme nucléaire et à la brutale expansion économique. Né de la collaboration entre le photographe Eikoh Hosoe et l’écrivain Yukio Mishima, Barakei emprunte aussi bien à l’érotisme qu’à l’imagerie religieuse. Un exemplaire s’est adjugé 3 500 euros en 2005 chez Bergé & Associés. Dans la même vente, Bye Bye Photography de Daido Moriyama, emblématique de la difficulté d’être artiste dans un climat d’apocalypse, a atteint 4 500 euros. Par ailleurs, certains artistes conceptuels, comme Hiroshi Sugimoto, se sont taillé une place au soleil. En mai 2007, le marchand David Zwirner a acheté un triptyque de cet artiste pour 1,8 million de dollars chez Christie’s.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Paris Photo : l’empire des signes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Directeur artistique : Guillaume Piens
- Nombre d’exposants : 107
- Tarif des stands : 340 euros HT le m2
- Nombre de visiteurs en 2007 : 32 100
Du 13 au 16 novembre, Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris,
Horaires les 13 et 15 : 11h-20h ; le 14 : 11h-21h ; le 16 : 11h-19h
www.parisphoto.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°290 du 31 octobre 2008, avec le titre suivant : Paris Photo : l’empire des signes