Salon

À Paris, le dessin se dédouble

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 20 juillet 2007 - 1034 mots

N’ayant pas intégré totalement le XXe siècle, le Salon du dessin a ouvert la voie à une nouvelle foire, axée sur le contemporain. Leur intérêt est sans doute à terme de trouver un toit commun.

PARIS - Les salons adoptent souvent une stratégie positiviste fondée sur le progrès et le renouvellement. Tel n’est pas le cas du Salon du dessin. Fort d’un succès douillet, celui-ci vit plutôt à un rythme ronronnant. Pour éviter tout changement, il s’abrite derrière le sempiternel « pourquoi changer une équipe qui gagne ? ». La formule est certes porteuse, en témoignent les régiments de collectionneurs et conservateurs étrangers qui s’y rendent comme en pèlerinage. Même les Américains, qui ne traversent pas toujours l’Atlantique pour se rendre à Maastricht, inscrivent Paris dans leur agenda. Pourquoi cet empressement ? Parce qu’ils y trouvent le gratin des marchands de dessins. Un cercle très fermé, presque consanguin, peinant à s’ouvrir à de nouvelles recrues.
Seule pointe de nouveauté introduite depuis l’an dernier : le colloque (1). « Il fallait donner envie aux gens de venir et revenir au salon », soulignent les marchands parisiens Bertrand Gautier (Talabardon & Gautier) et Marie-Christine Carlioz (Galerie de La Scala). « Lors du lancement de la Semaine du dessin (2), nous étions seuls. Là nous sommes dépassés par notre succès. Le colloque est une manière de faire comprendre aux gens que, s’ils veulent approfondir les choses, ils doivent venir au Salon, car c’est là où se trouvent marchands, universitaires et conservateurs. Il faut renouveler notre clientèle, sinon on va se retrouver avec des gens qui ont déjà tout, ou qui sont à un âge où ils songent plutôt à se défaire de leur collection. »

Lesueur devant Greuze
Faute de chefs-d’œuvre évalués à plusieurs  millions de dollars, le Salon joue sur d’autres registres de rareté, comme ce noyau de dessins du XVIIe siècle réunis par Terrades (Paris). Le regard vogue entre une décollation de saint Jean-Baptiste très caravagesque de Jacques Stella et la rencontre de Jacob et Esaü par Sébastien Bourdon, une pièce issue de la collection Chennevières. Bourdon se décline aussi chez Prouté (Paris) avec une Vierge à l’Enfant. Le choix du XVIIe semble opportun. « Les dessins du XVIIe siècle étaient moins recherchés autrefois qu’ils ne le sont aujourd’hui, indique Benjamin Perronet, spécialiste de Christie’s. Nombre de musées, notamment américains, n’ont pas de collections encore riches dans ce domaine et, du coup, sont acheteurs. Un Lesueur peut faire plus qu’un Greuze actuellement. Pour qu’un musée veuille acheter Greuze aujourd’hui, il faut qu’il soit exceptionnel ! » Les amateurs s’attardent d’ailleurs sur les œuvres fortes comme le très nerveux cavalier de Domenico Campagnola chez Bruno de Bayser (Paris) ou encore la Chute des géants de Luigi Ademollo chez Didier Aaron & Cie (Paris), sans compter l’étude d’homme pour le Radeau de la Méduse de Géricault chez W. M. Brady & Co. (New York).

Hybridations
Bien que minoritaire, le XXe siècle secoue l’ambiance ouatée de l’événement. Antoine Laurentin (Paris) séduit avec un dessin drolatique de Jean Lambert-Rucki représentant un maître et son chien ainsi qu’une grande gouache de Calder dédicacée à Jean Cassou. Du côté de Zlotowski (Paris), on retient une composition suprématiste d’Ed Lissitzky. Même les marchands classiques entrent dans la danse moderne, tel Coatalem (Paris) qui, outre un autoportrait saisissant de Léon Spilliaert (lire p. 9), en écho à l’exposition qu’il accueille dans sa galerie, propose deux femmes enlacées d’Egon Schiele.
Parce qu’elle n’a pas intégré pleinement ce versant, la foire de la Bourse a fait le lit du nouveau « Salon du dessin contemporain ». À l’instar d’ Art Paris, placé sous la bénédiction de Daniel et Florence Guerlain, ce salon profite du « parrainage » d’un collectionneur, en l’occurrence Antoine de Galbert, lequel y présente un florilège de son fonds. Cet événement a rallié aussi bien des poids lourds comme Lelong (Paris) que de toutes jeunes galeries telle Schirman-de Baucé (Paris). « Autant la question du pictural agite le débat esthétique, autant le dessin fonctionne dans toute la communauté artistique », affirme Laurent Boudier, maître d’œuvre de l’opération.
Alors que le Salon du dessin ancien s’arc-boute sur des règles strictes, en limitant notamment chaque exposant à une huile sur papier, son homologue contemporain s’est voulu plus souple. Qui dit dessin ne dit pas nécessairement et uniquement papier. C’est une pièce hybride que présentent Martine et Thibault de La Châtre (Paris) avec le Trognon électrique d’Olivier Nottelet, mélange de Plexiglas, papier, bas et feutrine. De même, chez Chantal Crousel (Paris) les dessins de Jean-Luc Moulène dialoguent avec ses sculptures. Anne Barrault (Paris) joue aussi sur une acception large avec la présentation des six couvertures originales de la bande dessinée L’Ascension du Haut Mal par David B., ou des détournements politiquement incorrects de Jochen Gerner. S’il permet de renouer avec des dessinateurs virtuoses, ainsi Françoise Pétrovitch chez RX (Paris), le salon révèle aussi la face cachée des artistes de la galerie Cent8 (Paris) avec les aquarelles de Jürgen Klauke, sorties pour l’occasion des tiroirs.
Bien qu’elle débute sous des auspices sympathiques, cette nouvelle foire devra chercher d’autres locaux dès la prochaine édition. Les deux manifestations auraient tout intérêt à s’unir pour s’installer en binôme au Grand Palais, sur le modèle de la synergie intelligente instaurée entre le salon de l’estampe et celui du livre ancien. En mettant les deux événements dans le même panier, les différents organisateurs éviteraient l’émiettement de la clientèle, tout en profitant d’éventuels cross-over.

(1) IIes Rencontres internationales du Salon du dessin, « Les artistes collectionneurs de dessins : de Vasari à aujourd’hui », sur les lieux du Salon, mercredi 21 mars à partir de 15 heures et jeudi 22 mars à partir de 14 h 30.
(2) Un événement organisé par la Société du Salon du dessin, et dont la huitième édition se tient cette année du 19 au 25 mars dans douze musées, école et bibliothèques à Paris (www.salondudessin.com).

- SALON DU DESSIN, 21-26 mars, palais de la Bourse, place de la Bourse, 75002 Paris, www.salondudessin.com, tlj 12h-20h30, le 22 mars 12h-22h. - SALON DU DESSIN CONTEMPORAIN, 22-26 mars, 60 bis, av. d’Iéna, 75116 Paris, www.salondudessincontem porain.com, le 22 mars 11h-22h, les 23,24, 25 mars 11h-20h, le 26 mars 11h-16h.

Salon du dessin - Direction : Société du dessin - Nombre d’exposants : 31 - Tarif des stands : 22 000 euros, frais inhérents au Salon inclus - Visiteurs en 2006 : 12 000 Salon du dessin contemporain - Direction : Christine Phal, Laurent Boudier, Jean-Yves Mesguich - Nombre d’exposants : 37 - Tarif des stands : 160 euros le mètre carré

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : À Paris, le dessin se dédouble

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