Expert et marchand, Bruno de Bayser a fait sortir le marché du dessin du domaine trop restreint des collectionneurs. Cet honnête homme est arrivé là par le bonheur d’une histoire d’amour. Curieux et passionné, il « aime le mystère et refuse le doute ».
PARIS - C’est une histoire d’amour. Bruno de Bayser ne serait jamais devenu expert et marchand de dessins sans la rencontre avec une femme, sa femme. Ce jeune homme de dix-sept ans se destinait à des études scientifiques lorsque Cupidon lui joua un joli tour en la personne de Thérèse Ambroselli. Elle étudiait l’histoire de l’art. Et alors ? “J’ai commencé à considérer les œuvres avec les yeux de l’amour tout en gardant un esprit scientifique.” Il lui fallait comprendre. La solution était au Louvre : “Là, j’ai regardé le legs Bestéguy. Pendant une semaine, j’ai observé un portrait d’Ingres, un autre de David et tout à coup, j’ai saisi leur différence de technique. Je me suis dit que j’allais essayer d’appliquer la même méthode aux autres artistes.” Vénus avait gagné là où la famille de Bayser n’avait pas réussi. Son grand-père, collectionneur de meubles et de dessins, fait faillite dans les années 1930. Son père, obligé de tout vendre, s’est alors pris à son tour de passion pour les dessins et a ouvert un magasin d’antiquités. Bruno de Bayser s’amuse du pensionnaire qu’il était alors. “Le dessin pour moi c’était du chinois.” Un comble aujourd’hui. Hélas, son père disparaît lorsqu’il a quinze ans, sa mère reprend l’affaire aidée par un associé, M. Strolin. Quant à Bruno, son choix est fait, il épousera Thérèse, mais avant les huit ans de son hypothétique cursus universitaire. Se diriger vers une carrière artistique, son épouse à ses côtés, lui semble la solution, “nous avons toujours travaillé ensemble”.
“J’ai eu beaucoup de chance”
À vingt et un ans, il est marié. Il fait son entrée dans le monde de l’art. Toujours souriant, Bruno de Bayser se souvient de ses débuts, il apprend au fur et à mesure de ses acquisitions. “J’achetais et montrais ce que j’avais déniché à M. Strolin qui m’a tout appris.” S’il laisse échapper le regret de n’avoir pas fait d’études, cet honnête homme se veut avant tout positif. Il avance, les yeux brillant de gourmandise lorsqu’il fait une découverte. Optimiste ? Sans doute mais en gardant les pieds sur terre. Guidé par une bonne étoile ? “J’ai eu beaucoup de chance. Mon premier achat s’est porté sur deux terres cuites ; je préférais de loin les sculptures à cette époque. Je les ai revendues chez Cailleux avec un superbe bénéfice, j’étais le roi de la terre et je me suis dit c’est un métier très facile.” Il éclate de rire et évoque comment il a vite repris pied avec la réalité. “Une peinture en mauvais état me plaisait, elle fut pour moi. Ce n’était hélas qu’une reproduction de Fra Angelico un peu vieillie. J’avais des progrès à faire et j’ai perdu une partie des bénéfices des terres cuites !” Une bonne raison pour affiner ses connaissances. Bruno de Bayser remercie ceux qui l’ont encouragé. “Paul Cailleux m’avait payé en billets de 50 francs et avait ajouté : je souhaite que bientôt ce soit des billets de 500 francs.” Il se souvient encore de ce marchand londonien chez qui sa mère l’a envoyé faire un stage. “C’est là que j’ai eu mes premiers contacts avec le dessin. Ce professionnel m’a testé et a conclu : ‘à mon avis tu as un œil, cela suffira’. Il m’a décomplexé.” On n’imagine pas Bruno de Bayser baisser les bras ou se lasser. “Lorsqu’on est un jeune débutant, on est naïf, fougueux et on se lance. Je fouillais dans les cartons aux Puces ; pour 20 francs j’avais un dessin que je revendais 35 francs, rue des Saints-Pères ou rue de Clichy.” Grand, mince, le cou toujours habillé d’un impeccable nœud papillon, on imagine mal ce gentleman arpenter Paris dans les années 1960. Il se souvient avec humour de cette époque héroïque. “J’avais mis au point une méthode, j’avais découpé la capitale en cinq secteurs que je parcourais toute la semaine ; le samedi c’était les Puces. Au bout d’un certain temps, tout le monde me connaissait.” Plus tard, la galerie de Bayser accueillera ses trouvailles. Ce grand spécialiste a toujours le même bonheur de la découverte, qu’il évoque avec sensualité. “C’est une pure gourmandise. Un dessin me suggère des saveurs de fruits, des odeurs de fleurs. Ce moment est merveilleux, on tremble, on est alors comme un amoureux un peu fébrile.” Poète, Bruno de Bayser? “Oui j’aime la poésie et j’écris un peu.” Un peu ? On retrouve chez lui cette forme d’humilité qui est celle des savants qui savent qu’ils ne savent rien, enfin, pas tout. “Après ce premier regard, il faut reconnaître Fragonard et ses tics, on vit avec lui, on sent sa présence.” À ses débuts, il existait à peine une dizaine d’ouvrages traitant de sa spécialité.
Expert et marchand
Aujourd’hui, un peu grâce à lui, cet art est de nouveau à la mode. Devenu expert, le seul en France à l’origine à s’occuper uniquement d’œuvres graphiques, il a développé les ventes aux enchères sur ce thème. Contacté pour être expert à Drouot, il hésite, puis se laisse convaincre. Il s’émerveille encore de cette autre rencontre qui le propulse sous l’éclairage des enchères dans les années 1980. “C’était la chance de ma vie. Me Tilorier m’a appelé pour une collection, nous l’avons dispersée en quinze ventes.” Cette année, c’est encore Bruno de Bayser qui a présenté les trois plus importants dessins vendus à Paris : 13,5 millions pour une tête d’ange de Lorenzo Di Credi, un record mondial pour cet artiste ; 10,6 millions de francs pour Le Christ mort de Bronzino, tous deux chez PIASA et 8,3 millions de francs pour le Saint Jean de Salviati, chez Tajan. Trois chefs-d’œuvre de la Renaissance vendus en cinq mois. Et pourtant, il tient à souligner qu’il est toujours marchand, un métier qu’il aime et qui le rend toujours heureux. “Je préfère posséder une œuvre. L’expert doit garder des distances et a parfois une attitude réductrice. Le marchand achète par plaisir, croit en ce qu’il défend et peut expliquer ses raisons d’une attribution.” Il évoque encore une autre étincelle de cette chance qui, dit-il, a jalonné sa vie. “Encore un grand bonheur, j’ai trouvé chez un brocanteur des ‘Valenciennes’, du nom d’un peintre du XVIIIe siècle, de ravissantes vues de Rome. Je n’avais emporté que la moitié du carton qui les contenait. Puis, en feuilletant le catalogue du Louvre, j’apprends que ce musée en conserve quarante. J’ai couru acheter tout le reste et j’ai organisé une exposition, comme ces œuvres sont rares le résultat fut formidable.” Il salue au passage ses confrères du Salon du dessin qu’il a appris à connaître. “On ne parle pas assez de leur savoir, il faut du courage pour défendre ses idées.” Ses goûts l’emportent vers Géricault et Delacroix. Serait-il tenté par une autre activité ? “J’aimerais faire la même chose mais avec des artistes contemporains.” Cet épicurien qui aime les matières nobles, le cuir le bois, les tissus, avoue un faible pour la Haute Époque : “J’aime la spiritualité d’une sculpture du XVe siècle dont on ne connaît pas le nom du créateur. Elle est reposante. Face à elle demeure le plaisir à l’état pur.” Croyant, il avoue “aimer le mystère et refuser le doute”. Il marche dans la vie, bien droit, sa femme à ses côtés. Ensemble, ils ont eu onze enfants et étudié des milliers de dessins. C’est une histoire d’amour.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Onze enfants et des milliers de dessins
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Onze enfants et des milliers de dessins