Comme tout compromis, les règles qui régissent 'l’œuvre originale' (lire p. 35) n’arrivent pas à satisfaire tout le monde. Ils facilitent le travail de certains marchands, mais continuent, selon d’autres, à freiner le marché ou à créer de belles absurdités, comme celle de la porcelaine de Chine du XVIIIe siècle, considérée comme 'vaisselle usagée.'
PARIS - La galerie Paul Prouté, rue de Seine, affiche la sérénité. Selon Annie Martinez-Prouté, il n’y a aucun doute à avoir pour les dessins, qui sont de toute évidence des œuvres originales. Ce sont les gravures qui peuvent éventuellement poser problème. Non pas les "gravures d’origine", créées de la main de l’artiste et dont la définition n’est pas affectée par l’importance du tirage, mais les "gravures d’interprétation". Éffectuée d’après une œuvre par quelqu’un d’autre que l’artiste, même la gravure d’un artiste génial d’après une œuvre mineure n’est pas considérée comme originale.
Les graveurs contemporains
"Du côté des gravures anciennes, même si l’aspect technique est complexe, il n’y a aucun problème de définition. Les problèmes se trouvent plutôt du côté des gravures contemporaines", nous a indiqué Annie-Martinez Prouté.
Jean-Claude Romand, expert en estampes modernes dans le VIe arrondissement de Paris, affirme de son côté qu’il se bat depuis trente ans pour que les estampes contemporaines comportent, comme c’était le cas au XVIIIe siècle, à la fois le nom de l’artiste et celui du graveur : "Il y a trop d’estampes dessinées sur des matrices faites par d’autres que l’artiste, mais signées par lui. Par conséquent, la confusion est énorme. La signature fait la loi et vaut authentification, même quand des faux ont été faits avec la complicité tacite de l’artiste ! Il y a donc un problème d’éthique, que certains marchands respectent et d’autres pas. Au client de bien choisir son marchand."
Un problème moral et esthétique
Le marchand d’art contemporain Marwan Hoss estime que la définition d’œuvre originale pour la sculpture moderne et contemporaine ne pose aucun problème, les textes étant clairs, et le tirage, dans le cas de fontes en bronze, étant limité à douze exemplaires. Mais, à son avis, la définition globale de l’œuvre originale reste incomplète. "Pour moi, il s’agit d’un problème moral et esthétique, d’un débat d’idées. Est-ce que telle ou telle œuvre a été pensée pour être fondue un jour en bronze, et à plusieurs exemplaires ? Ou faut-il arrêter le désir de l’artiste à sa dernière sculpture ? Que faire, dans ce cas, de l’œuvre d’un artiste qui n’a pas eu le temps d’en réaliser un tirage ?"
Des problèmes similaires se posent pour la photographie, dont le tirage ne doit pas dépasser, tous formats confondus, les trente exemplaires, sous peine de devenir un vulgaire "multiple", d’une valeur marchande inférieure, soumis à un autre taux de TVA. Le tirage peut avoir été effectué par le photographe lui-même, ou par un tireur "attitré".
"De grands flous subsistent tout de même, car il n’y a pas assez de jurisprudence dans ce domaine. Cela explique, en partie, la difficulté d’établir un marché de la photo à Paris, où l’on a pourtant les trois plus grandes agences photographiques du monde !", s’exclame l’expert et galeriste parisien, Laurent Deschamps.
Pour les spécialistes de la Haute Époque, la législation apporte quelques lumières, et laisse bien des incertitudes. La sculpture, toujours acceptée comme œuvre originale, le reste. Certains meubles et les tapisseries, autrefois exclues de la définition, sont maintenant admis, mais selon des critères qui ne sont pas toujours d’une objectivité limpide. Le législateur a étendu au mobilier "estampillé ou attribuable" (l’estampille n’existant pas au Moyen Âge), l’appellation d’œuvre originale, mais en laissant aux marchands le soin de méditer la signification du terme "attribuable". Les meubles, jusqu’à la fin du XVIe siècle, ayant été réalisés pour la plupart sur commande et selon des indications bien précises de l’acheteur, méritaient, selon les spécialistes intéressés, d’être considérés comme originaux. Mais les registres de commande de l’époque ont presque tous disparus ; les meubles n’étant pas signés, comment faire des attributions à tel atelier ou à tel maître ? Le marchand peut seulement arguer que l’exceptionnelle qualité d’une pièce prouverait qu’elle était l’œuvre d’un maître, et qu’elle est, de ce fait, originale.
Les meubles Art Déco
Dès le XVIIIe siècle, les choses deviennent plus claires... et plus rocambolesques. Est œuvre originale tout meuble signé, ou qui peut être attribué avec certitude. Ce sont les objets d’art qui posent problème. Ainsi, les bronzes – chenets, appliques et lustres –, sont considérés fiscalement et par la douane comme autant "d’ustensiles", dans la même catégorie que les machines à laver d’occasion. Quant à la porcelaine de Chine, quand même elle eut appartenu à Marie-Antoinette, elle n’est aux yeux du législateur que "vaisselle usagée" et frappée à ce titre de la TVA à 18,6 %.
Aucune originalité n’est consentie aux grands meubles Art-Déco, signés puisque les textes spécifient bien : "pièces d’ébénisterie de plus de cent ans d’âge, dont la rareté et l’estampille ou l’attribution établissent l’originalité du travail de l’artiste..." Il faudra donc attendre encore une trentaine d’années pour voir baisser de 18,6 % à 5,5 % la TVA sur les armoires de Ruhlmann, et les bureaux de Chareau.
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Œuvres d’art : il n’est pas si facile d’être original
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Œuvres d’art : il n’est pas si facile d’être original