Giovanni Anselmo, qui fût l’un des principaux acteurs de l’Arte Povera en Italie, et Stanley Brouwn, artiste hollandais qui depuis vingt ans s’est surtout distingué par sa discrétion, proposent deux expositions silencieuses, à parcourir à pas comptés, dont le vide est l’un des éléments constitutifs. Un vide qui appelle le spectateur de sa présence, afin qu’il se mesure à l’aune de l’espace et des œuvres.
CALAIS - À l’invitation de Micheline Szwajcer, galeriste à Anvers, Stanley Brouwn avait proposé une présentation commune de ses œuvres avec celles de Giovanni Anselmo. Si elles n’ont pas été conçues à quatre mains, les expositions que présentent ici, pour la seconde fois, les artistes, trouvent leur véritable enjeu dans cette juxtaposition, dans l’écho permanent qu’elles se renvoient. Bien que toutes datées de 1994, les œuvres de Brouwn comme celles d’Anselmo génèrent un vocabulaire formel qui n’a que peu évolué depuis vingt ans.
Giovanni Anselmo divise l’espace carré de la galerie avec un sentier de terre que seuls quelques élèments viennent ponctuer : un bloc de schiste incrusté d’une boussole, deux rectangles peints en bleu outremer sur le mur, quatre projections des mots particolare et visibile. Comme l’indique le titre, l’œuvre requiert une participation active du spectateur, invité à détailler un environnement dont il est l’élément révélateur. Se déplaçant, son corps fait obstacle dans l’espace vide et rend par exemple lisible l’inscription visibile.
La boussole évoque les forces magnétiques naturelles, invisibles, et le spectateur est amené à s’interroger sur ce qu’il peut lui-même produire d’énergie, de sens apporté à l’œuvre. L’œuvre d’Anselmo, dit Germano Celant, "se produit de façon immanente dans ce dont elle parle autant qu’elle le produit. Aucun processus d’abstraction n’est sollicité."
Stanley Brouwn crée lui aussi, dans des espaces carrés mais de moindre échelle, une forme de "dissymétrie parfaite". Il divise des carrés d’1 mètre, d’1 pas, d’1 coudée et d’1 pied de côté, par le nombre d’or. Les progressions qu’il aligne sous forme de dessins, ou avec des volumes d’aluminium, alternent des unités de mesure stables avec d’autres plus fluctuantes. Ainsi, lorsqu’il mesure le corps d’un ami désigné par "m", d’après les mesures de son propre corps (un pas, une coudée, un pied), reste-t-il une fraction qui pourrait engendrer une nouvelle unité de mesure. Avec le fil d’acier d’une longueur de 100 pieds qu’il présente enroulé dans une boîte, on pense aux lignes de Manzoni, mais aussi aux Stoppages étalons de Duchamp.
Quittant la petite salle concomitante où sont réunis ces quelques travaux, on réalise l’étroitesse de la porte, détail ici permanent mais que S. Brouwn avait lui-même corrigé il y a quelques années dans l’espace de la Galerie Durant-Dessert, alors rue des Haudriettes. Cet exemple pour montrer combien ses œuvres fonctionnent, depuis la fin des années 60, sur un mode opératoire.
Si les principes sur lesquels s’appuient les œuvres de ces deux artistes depuis le début des années 70 restent inchangés, ils sont ici réactivés avec une extrême précision dans la gestion de l’espace et l’ordonnancement des éléments. Plus que jamais, Brouwn et Anselmo semblent insister sur le fait qu’il faille, au-delà de regarder des œuvres, les appréhender physiquement.
Jusqu’au 15 janvier 1995, Galerie de l’Ancienne Poste, Le Channel, 13 Bld Gambetta, Calais, tél. 21 46 77 10
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Mesure pour mesure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Mesure pour mesure