Galerie

Mendieta en diable

La Galerie Lelong permet de redécouvrir le travail singulier de l’artiste cubaine

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2011 - 445 mots

PARIS - Décédée brutalement en 1985 à l’âge de 36 ans, la Cubaine Ana Mendieta, à laquelle la Galerie Lelong, à Paris, rend hommage jusqu’au 8 octobre, fut une artiste aussi radicale que singulière.

Bien que l’usage répété de son corps la rapproche du body art, que son ancrage dans la nature l’associe au land art, que ses performances sanguinolentes rappellent les jeux macabres des actionnistes viennois, cette créatrice échappe aux classifications trop rigides. Malgré ces parentés, la poésie âpre de Mendieta s’est nourrie d’autres terreaux, puisant dans les mythes précolombiens ou le syncrétisme cubain.

Silhouette embrasée
D’entrée de jeu, la rétrospective de la Galerie Lelong se place sous le sceau du sang lié aussi bien au crime qu’au sacrifice, notamment dans la série inspirée d’un viol commis à l’université d’Iowa où l’artiste était inscrite. Une photographie de 1973 dévoile la croupe ensanglantée d’un corps de femme à moitié enfoui dans des buissons. L’hémoglobine s’invite aussi dans la vidéo Chicken Piece de 1972, très inspirée de la santeria cubaine. On y voit l’artiste nue tenant fermement un poulet décapité qui s’agite dans un dernier spasme. Dans la vidéo Blood Sign (1974), Mendieta détoure sa silhouette sur un mur, d’une main maculée d’encre rouge, avant d’y inscrire : There is a devil inside me (« Il y a un diable en moi »).

Ce thème de la silhouette sera décliné tout au long de sa brève carrière, telle une trace paléolithique ou un suaire christique, comme dans ce drap révélant une empreinte anthropomorphe rouge, cernée d’une grande gerbe d’épines. Cette ombre pourpre relève de l’aura et de l’absence, symbole du déracinement que l’artiste a connu à l’âge de 12 ans. Aussi se représente-t-elle souvent couchée la tête face au sol, comme dans une fusion avec la Terre mère. Elle déploiera longuement ses Siluetas, traces de sang ou de poudre laissées tels de fugaces pointillés près des temples aztèques mexicains, ou reliefs de pierres agrégées discrètement dans le paysage cubain. Un film dévoile une silhouette s’embrasant tel un bûcher. Dans la sculpture Ñáñigo Burial que réactive Lelong, des cierges noirs reconstituent le corps de l’artiste, qui apparaît dans un cerne noir au fur et à mesure que les bougies fondent.

Quasi inconnue de son vivant, Mendieta a joui d’une reconnaissance posthume grâce au travail inlassable de sa succession. Si la réévaluation a commencé depuis une décennie aux États-Unis, la France ne semble toujours pas mesurer l’originalité de cette artiste, dont les travaux sur l’identité précèdent de plusieurs années les travestissements de Cindy Sherman. Mendieta n’a jamais bénéficié d’une exposition personnelle dans une institution hexagonale, ni intégré les collections nationales. L’exposition chez Lelong décillera-t-elle enfin nos conservateurs ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Mendieta en diable

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