Ecrivain et collectionneur, Maurice Rheims était le plus célèbre commissaire-priseur parisien. Curieux et avant-gardiste, il avait anticipé bien des évolutions du marché. Il s’est éteint le 6 mars.
PARIS - Modeste et facétieux, Maurice Rheims se présentait comme “juif et cancre”, dans un recueil d’entretiens avec François Duret-Robert publié chez Gallimard en 1993. Ses nombreux livres, avec leur mélange de fine érudition et de formules cinglantes, menèrent cet érudit à l’Académie française en 1976. Il avouait pourtant volontiers n’être pas bachelier. Son talent se révéla dans des études d’histoire de l’art, à l’École du Louvre et à la Sorbonne. Maurice Rheims avait un “œil”, un don pour traquer le beau que personne ne contesta jamais. Il “découvrit” l’Art nouveau, collectionna les peintres symbolistes et, pourtant peu porté sur l’art contemporain, aida financièrement Balthus.
Sa carrière de commissaire-priseur débuta en 1935. D’une étude sans ampleur, il fit la deuxième de Paris après celle d’Étienne Ader. Plus à l’aise dans les ventes de prestige que dans les vacations courantes, ce brillant mondain orchestra quelques événements du marché de l’art du XXe siècle. À l’époque, Paris était la première place du monde, et la vente Derain, celles des collections du roi Farouk ou du testament de Louis XIV lui assurèrent une réputation internationale. Il eut aussi l’honneur d’expertiser les successions Bonnard et Picasso. Ses méthodes lui attirèrent des antipathies parmi les commissaires-priseurs parisiens. Au cours de sa carrière, il fut convoqué trois fois en chambre de discipline, notamment pour avoir reproduit, dans les années 1960, un tableau de Rembrandt en couleur dans un catalogue. Il eut aussi maille à partir avec les antiquaires lorsqu’il créa Connaissance des arts avec Michel Beurdeley. S’inspirant du Connoisseur anglais, il brisa un tabou en publiant les prix de vente des objets d’art.
Visionnaire, il s’interrogea sur l’avenir de sa profession et du marché parisien. En 1964, il tenta d’acquérir Parke Bernett, plus grande maison de ventes new-yorkaise, avec deux confrères et le soutien de la banque Lazard. L’aventure tourna court face à la barrière linguistique et aux réticences de la chancellerie. Un officier ministériel pouvait-il être un homme d’affaires ? Sotheby’s emporta le morceau, et le marché commença à basculer outre-Atlantique. Quelques années plus tard, Maurice Rheims réunit chez lui quinze confrères pour les convaincre de s’unir face à la concurrence anglo-saxonne. Personne ne donna suite.
Aujourd’hui, les commissaires-priseurs lui rendent un hommage appuyé. Hervé Poulain, esprit frondeur qui donna le nom de Maurice Rheims à sa salle des ventes, résume : “Grâce à lui, dans les dîners, les commissaires-priseurs se sont trouvés assis à la droite de la maîtresse de maison. Il a doré le blason de la profession, laquelle ne lui en a pas su gré.”
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Maurice Rheims s’éteint
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Maurice Rheims s’éteint