EXPOSITION

L’intransigeante Miriam Cahn

Par Amélie Adamo · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2024 - 744 mots

Cinquième exposition personnelle de l’artiste à la galerie Jocelyn Wolff qui réunit ici un ensemble d’œuvres récentes, peintures, dessins et installation.
Paris. Voilà plus de quarante ans que Miriam Cahn développe une pratique polyforme où se mêlent peinture, dessin, sculpture, performance, film et photographie. Révélant une vision humaniste du monde, son œuvre a pour thème central la guerre, ses injustices et sa violence, en lien avec les sujets brûlants de l’actualité, mais interroge aussi l’intime, les questions d’identité et de sexualité, nourrie de son expérience personnelle, en tant que femme et fille d’un père juif qui a fui l’Allemagne en 1933. Si la dernière exposition à la galerie Jocelyn Wolff était axée sur le thème des migrants, celle-ci se recentre sur des questions féministes. Sont ainsi réunies un ensemble d’œuvres montrant des victimes, suggérant des viols commis pendant la guerre ; des représentations d’accouchement, thème peu montré dans l’histoire de l’art ; des autoportraits en pied où l’artiste scrute son corps nu et vieillissant. Le corps est au centre de ces nouvelles peintures, le corps représenté bien sûr, mais aussi le corps même de l’artiste. Cela s’affirme tant dans la manière de se documenter sur ces sujets et d’imaginer la violence telle qu’elle pourrait être infligée à son propre corps, que dans la manière de peindre. La gestuelle rapide, proche de la performance, crée des œuvres puissantes. Frontales, les œuvres jouent avec l’espace même du spectateur, par leurs formats et points de vue, mais aussi par leur manière d’être scénographiées, parfois assemblées en nombre, en installation oppressante.

L’ambiguïté d’une œuvre ouverte
Directe, l’œuvre de Miriam Cahn happe le regard, interroge, dérange. Mais il n’y a cependant ni provocation revendiquée ni pathos chez Miriam Cahn, juste un regard faisant face aux choses que l’on ne veut pas voir. Son art est contre-propagande. Il résiste au flux des images médiatiques. Ni documentaire ni illustratif. L’art de Miriam Cahn arrête ce flot de l’actualité. En moderne, l’artiste s’éloigne du transitoire pour interroger la part éternelle et archétypale de l’art. Ce qu’elle interroge à travers ces événements d’actualité ou personnels, c’est un fond universel, humain, existentiel. Ouverte et ambiguë, son œuvre peut ainsi se lire de diverses manières. Elle attire et repousse. Elle a quelque chose de dur dans le thème, une frontalité brutale et une manière de se confronter à la « laideur » qui peut l’inscrire dans un fond expressionniste et allemand. Mais pas que. Il y a aussi un goût pour une couleur plaisante, chatoyante. Sans doute a-t-elle assimilé la leçon picassienne qui ouvre le XXIe siècle à toutes les hybridations possibles, entre l’instinct et le savoir. Entre expressionnisme, abstraction et réalisme, son œuvre a digéré la tradition classique et sa maîtrise de l’anatomie autant qu’elle a pris acte de la dimension énergétique de la modernité. Dans sa forme comme dans ses sujets, l’art de Miriam Cahn réside sur une frontière, entre la beauté et la laideur, le sacré et le vulgaire, la légèreté et l’insoutenable. Ce qui dérange, déstabilise, dans nos représentations souvent binaires et réductrices du monde.

Un art sans concession
Comme le souligne le galeriste Jocelyn Wolff, qui accompagne l’artiste depuis dix-sept ans, Miriam Cahn « est radicale, intransigeante dans son travail, ce n’est pas une artiste du compromis, elle est restée fidèle à elle-même, droite dans ses bottes malgré le succès ». Voilà plusieurs décennies que le travail de l’artiste circule dans le milieu de l’art contemporain, à l’international et en France, montré et acheté par de nombreuses institutions. Dépassant un cercle d’initié, son œuvre a récemment acquis en France une plus large reconnaissance, touchant le grand public, en partie grâce à sa visibilité dans des institutions de référence : Palais de Tokyo ou Collection Pinault. L’accompagnant dans l’évolution de son parcours, Miriam Cahn est soutenue par des collectionneurs fidèles, particulièrement en Europe et en Asie. Bien que ses prix aient augmenté, l’artiste est soucieuse de maintenir une certaine « accessibilité aux œuvres ». Dans cette exposition, les prix affichés vont de 8 000 euros pour des petits dessins, entre 80 000 et 300 000 euros pour une peinture de moyen ou de grand format. Ce qui reste en deçà des prix qu’atteint la peinture internationale pour cette génération. C’est par ce parcours intransigeant, et par la force plastique de son œuvre, que Miriam Cahn a su s’affirmer comme une « figure inspirante pour les jeunes artistes ». Tout comme « elle a permis de mettre des questions féministes essentielles sur le devant de la scène artistique, bien avant Me Too ».
Miriam Cahn, Devoir-pleurer,
jusqu’au 26 octobre, galerie Jocelyn Wolff, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : L’intransigeante Miriam Cahn

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