États-Unis - Ventes aux enchères

VENTES PUBLIQUES

Les ventes de New York sauvent les apparences

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2024 - 883 mots

Les grandes ventes d’art moderne de Christie’s et Sotheby’s affichent des résultats contrastés.

New York. Les deux ventes du soir d’art moderne de Christie’s et Sotheby’s ont rapporté 648 millions de dollars frais compris – un chiffre en hausse de 7 % par rapport à l’an dernier. Si l’année 2023 s’était terminée sur beaucoup de questionnements, les vacations de 2024 sont plus solides sans être pétillantes. « C’est le paradoxe des garanties, très nombreuses et élevées cette saison – notamment les garanties externes – nécessaires pour convaincre les vendeurs de vendre, mais qui en même temps mettent la barre assez haut pour les sous-enchérisseurs, qui se sentent alors découragés. Il y a eu un déficit de sous-enchérisseurs cette semaine, ce qui peut inquiéter les professionnels quant à la profondeur du marché, qui eux, aiment bien voir l’obtention d’un prix qui soit le fruit d’une bataille entre deux ou trois enchérisseurs », commente le conseiller en art Thomas Seydoux.

Christie’s, qui visiblement n’a pas été impactée par le piratage de son site Internet, lequel a mis plus d’une semaine pour revenir à la normale, a mené la danse. Elle a récolté en tout 413 millions de dollars (346,5 au marteau, soit proche de son estimation basse fixée à 345,9), avec trois lots invendus seulement (et deux retirés de la vente). Elle affiche une progression de 26 % par rapport à l’an passé. La vente Modern Evening Auction du 15 mai de Sotheby’s, elle, a totalisé 235 millions de dollars frais compris, soit dans la fourchette de son estimation, avec seulement deux lots non vendus (et trois retirés avant la vente). Elle enregistre une baisse de 15 % par rapport à l’an dernier (si l’on exclut le Rubens vendu 26 millions de dollars) – un Gustav Klimt adjugé 53 millions de dollars ayant fait la différence. « Si l’on savait que le marché fonctionnait bien pour les œuvres entre 500 000 et 5 millions, on ne savait pas comment il allait accueillir les tableaux de plus de 15 millions car c’est une saison où il a été dur – tout autant pour nos concurrents – de trouver des tableaux à vendre. Notre vacation y répond : si une œuvre importante se présente, sans beaucoup d’équivalent encore en mains privées, qui n’a pas trop été vue et assortie d’une estimation pas trop agressive, les acheteurs du monde entier sont là », relève Thomas Bompard, co-directeur du département d’Art moderne et contemporain chez Sotheby’s Paris.

Ces vacations appellent cependant plusieurs remarques. D’abord, il n’y avait ni de collections poids lourd, type Macklowe ou Paul Allen, ni de grands trophées. « Les résultats sont là, mais sur la base de ce qu’il y avait. Les grands absents étaient les tableaux qui dépassent les 50 millions de dollars. C’est quand même un signe du manque de confiance des vendeurs qui n’ont probablement pas obtenu les garanties financières qu’ils souhaitaient avoir », note Thomas Seydoux. Et d’ajouter : « Je ne pense pas que les ventes qui ont eu lieu cette semaine soient de nature à décider les vendeurs d’un tableau à 50 ou 100 millions. En tout cas moi, je ne le vendrai pas maintenant. »

Leonora Carrington, reine de la soirée

Et puis il n’y a pas vraiment eu d’étincelle, excepté pour deux lots et en particulier une vraie surprise pour Les Distractions de Dagobert, de Leonora Carrington, chez Sotheby’s. Estimée entre 12 et 18 millions de dollars, la toile a été adjugée 28,5 millions – un prix élevé quand on sait que son précédent record dépassait à peine les 3 millions de dollars. Ce tableau aux allures d’un Jérôme Bosch de la 3e artiste surréaliste la plus chère du monde (après Magritte et Mirò), a été acquis par Eduardo F. Costantini, le fondateur du Malba, le Musée de l’art latino-américain de Buenos Aires. « Ce tableau a explosé grâce à la sophistication et la richesse de l’image, d’une sensualité folle, sans compter que les artistes féminines sont clairement à la mode. C’est un tableau dont l’ADN ne pouvait pas être plus surréaliste », explique Thomas Bompard. L’autre prix remarquable était celui, cette fois-ci chez Christie’s, de Flowers, 1964, de Warhol, qui avait beaucoup de présence et a atteint 35,5 millions de dollars – du jamais vu pour des fleurs de l’artiste.

Pour finir, les taux de vente, s’ils sont très bons – supérieurs à 90 % – cachent quand même le fait que la majorité des œuvres se sont vendues dans la fourchette de leurs estimations, voire même en dessous. Chez Christie’s, ce sont même 54 % des lots présentés qui n’ont pas atteint l’estimation basse. Est-ce à dire que les estimations sont toujours trop élevées ou est-ce une situation économique dans laquelle il n’y a pas de renouvèlement d’acheteurs ? Probablement un peu des deux. En tout cas, « si les estimations pouvaient être réduites légèrement, de 10 à 20 %, cela stimulerait davantage la compétition. Mais dans un contexte où il est difficile de trouver des tableaux, ils ne sortent jamais avec des estimations les plus attractives », explique Thomas Bompard.

Quoiqu’il en soit, dans le climat mondial actuel, morose sur un plan économique, social et politique, « les ventes ont été bonnes mais il reste encore du travail à faire pour encourager les sous-enchérisseurs, soit avec des estimations bien plus raisonnables, soit avec la conquête de nouveaux acheteurs », résume Thomas Seydoux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Les ventes de New York sauvent les apparences

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