Dessin

Les nouveaux horizons de Moninot

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 781 mots

Pour sa première collaboration avec la galerie Jean Fournier, l’artiste présente des séries de tableaux ou dessins explorant des thèmes liés au ciel et travaillant la notion de transparence.

PARIS - Il y a deux ans, Bernard Moninot a fait un rêve. Il visitait l’atelier d’un artiste inconnu qui faisait des œuvres extraordinaires et révolutionnaires : des « sculptures de silence ». Il a décidé de travailler à partir de cette idée. « Jusqu’alors j’avais réalisé des choses que je pouvais faire, ou du moins j’essayais de trouver des solutions à des problèmes possibles. Là je m’attaquais à des choses a priori impossibles à faire », précise l’artiste. Et puis un jour il s’est aperçu que le sonogramme du mot « silence » qu’il prononçait devant son ordinateur lui donnait des lignes et des cercles. Coïncidence idéale pour Moninot qui, depuis des années, a fondé son vocabulaire formel sur les cercles et ellipses. Il réalisa donc une petite maquette, présentée dans l’exposition de la galerie Jean Fournier, qui projetait sur les murs des ombres de cercles. Ceux-là même qui vont devenir le sujet d’un premier tableau titré d’un bel anagramme, « Silent listen » (« écouter le silence »), et point de départ de la série « Antichambre ». Chacun de ses tableaux évoque des cercles en colonnes qui forment des ellipses peintes sur une toile marouflée sur bois avec, tendu 3 cm devant, un second plan en toile de soie artificielle reprenant les mêmes figures disposées différemment. La superposition de leurs deux couleurs respectives en crée une troisième artificielle, comme saturée, que seul notre regard fabrique dans une fusion optique.

Bien qu’inédit pour Moninot, ce travail reprend des constantes de sa démarche. À la différence près qu’auparavant il s’inventait les outils, les « objets de pensée » selon son expression, qui lui permettaient de construire ses volumes, ses mobiles, ses tables d’instrumentation nécessaires à la composition d’anamorphoses, de jeux d’ombres portées, de transparence, lumière, distance. La distance, maître mot de Moninot.

Il y a quelques années, un autre artiste, Philippe Favier, avait eu cette magnifique réponse à la question concernant le côté minuscule de ses figures : « Je ne fais pas petit, je fais loin. »
Bernard Moninot, lui, précise : « Lorsque je peins ou dessine, j’ai toujours l’impression que mon sujet est trop proche et qu’il faut que je crée un autre plan pour l’éloigner. C’est la raison pour laquelle j’introduis ce plan de soie pour éloigner ce dessin de moi. »

La distance chez Moninot, c’est aussi celle qu’il voit depuis son autre atelier, à Château-Chalon dans le Jura, un lieu perché à 500 m d’altitude avec grand angle sur l’horizon jusqu’à 80 km. C’est là qu’il a réalisé cette autre série, « À la poursuite des nuages » : soit des dessins à main levée qui, minute par minute et ligne par ligne, écrivent le mouvement des nuages poussés par le vent. Une façon de peindre le temps qu’il fait et les cumulus qui passent.

Et c’est encore la question de la distance et du point de vue qui est au centre de la troisième série d’œuvres ici présentée. Intitulée « Terminal », au sens d’aérogare, elle reprend le même principe qu’« Antichambre » puisqu’elle est aussi une aire d’attente, un espace intermédiaire. Plus là et pas encore là-bas avec toute la poétique de la destination. Elle superpose ainsi deux images, mais cette fois l’arrière-plan correspond aux pistes d’envol que l’artiste a vues par transparence au travers de la vitre d’une salle d’embarquement. Et le premier plan montre ce qu’il y a dans son dos et qu’il a découvert en se retournant. Le décollage d’images télescopées est d’autant plus surprenant qu’il donne l’impression d’avoir des yeux dans le dos. Et le trouble est d’autant plus fort que les perspectives s’agrègent et se carambolent.

Compris entre 3 500 euros pour un dessin de nuage et 18 000 euros pour le plus grand tableau, les prix montrent que la cote de Moninot a trouvé sa vitesse de croisière, de façon assez logique pour un artiste né en 1949 qui a fait le choix du long-courrier, avec une carrière commencée en 1969. Un long terme ponctué d’expositions régulières en galeries (celle-ci est sa première chez Jean Fournier), dans de belles institutions, de la Fondation Maeght (dès 1979) au Mac/Val à Vitry-sur-Seine en 2009, en passant par l’ARC au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (1980) ou le Jeu de paume (1997). Stable, sa cote est soutenue par de vrais amateurs qui lui ont toujours évité les trous d’air des ventes aux enchères.

MONINOT

Nombre d’œuvres : 27
Prix : entre 3 500 et 18 000 €

BERNARD MONINOT, ENTRE-TEMPS

Jusqu’au 20 juin, Galerie Jean Fournier, 22, rue du Bac, 75007 Paris, tél. 01 42 97 44 00, www.galerie-jeanfournier.com, du mardi au samedi 10h-12h30, 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Les nouveaux horizons de Moninot

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