Analyse

Le prix Marcel-Duchamp, ou le règne du consensus mou

Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2005 - 487 mots

Que doit-on attendre de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf) ? Que ce cercle de collectionneurs dirigé par Gilles Fuchs soit un tant soit peu indépendant. Que peut-on espérer du jury du prix Marcel-Duchamp, supposé sélectionner l’artiste français le plus représentatif de sa génération, et en substance le plus exportable ? Qu’il soit visionnaire. Dans les deux cas, le pari est raté. En préférant Claude Closky aux autres nominés, Gilles Barbier, Kader Attia et Olivier Blanckart, le jury a fait le 8 octobre le choix le plus sage. Les membres du jury semblent aussi avoir davantage départagé les œuvres présentées sur chacun des stands des nominés à la FIAC que jugé le parcours des artistes.
Ce choix se révèle surtout « institutionnellement correct ». Le Musée national d’art moderne, dont le directeur, Alfred Pacquement, est aussi président du jury du prix Marcel-Duchamp, compte sept œuvres de Closky dans ses collections, contre deux de Barbier. L’artiste a même habillé les murs des bureaux du Centre Pompidou ! Closky est aussi très présent dans les collections du Fonds national d’art contemporain (FNAC), lequel lui a acheté 34 œuvres de 1989 à 2000. À titre comparatif, de 1994 à 1998, le FNAC n’a acquis que 13 œuvres de Gilles Barbier. Plus qu’une union sacrée entre le public et le privé, le prix Marcel-Duchamp ratifie la mainmise du premier sur le second. L’Adiaf serait d’après un observateur le chanoine des institutions. Pire, elle semble n’en être que le bedeau.
Certains objectent que Closky est le plus « international » des artistes nominés, car il a déjà intégré des galeries étrangères. Encore faut-il voir le poids précisément « international » des dites galeries. Les œuvres de Closky étaient absentes des cimaises de la Foire de Bâle en juin, alors même que le courtier Simon de Pury achetait une installation de Kader Attia pour une grande collection italienne. Sur la FIAC, la fondation mexicaine Jumex s’est porté acquéreur de l’installation d’Attia présentée sur le stand du prix Marcel-Duchamp. Il y a quatre ans, le collectionneur Martin Z. Margulies jetait son dévolu à la Foire de Bâle sur une grande sculpture de Barbier, toujours visible dans sa collection à Miami. Qui est potentiellement international dans l’histoire ?
Le prix Marcel-Duchamp est symptomatique d’un tropisme français : le refus des formes spectaculaires. Le refus aussi du mauvais goût. Le travail de Closky est poétique, cérébral, élégant. Le prototype même de l’image floue qu’ont les étrangers d’un artiste français ! L’exception hexagonale ne faisant plus florès à l’étranger, la France aurait pourtant intérêt à jouer sur d’autres ressorts. Des images parfois chocs comme celles de Gilles Barbier, d’Olivier Blanckart ou de Kader Attia ont plus de chances de résister face à la déferlante américaine ou allemande. Ce sont de tels artistes à l’iconographie puissante qui peuvent servir de locomotive, entraînant dans leur sillage la diversité qui fait la richesse de la scène française.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : Le prix Marcel-Duchamp, ou le règne du consensus mou

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