À 200 millions de francs, le budget de l’État serait encore largement mis à contribution. Compte tenu du non-encaissement des droits de succession, la note s’élèverait alors à 345 millions de francs.
L’affaire a été laissée sans maître
Puisque tout cela risque de coûter fort cher, autant en tirer les leçons. La première est sans doute que l’administration paye son mépris pour le marché. Convaincus de leur mission d’intérêt général, les représentants de l’État n’ont pas pris en compte les droits également légitimes des propriétaires. Il est vrai que la justice ne leur a pas toujours rappelé les droits des possesseurs, les arrêts du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ayant pu donner le sentiment que l’intérêt général – au sens de l’intérêt de l’État – primait systématiquement. Ainsi en a-t-il été dans cette affaire, comme dans l’affaire de la collection de voitures Schlumpf. Rassurée par cette jurisprudence, l’administration n’a pas fait la "part du feu".
Ainsi, le pourvoi de l’administration contre l’arrêt d’appel ayant condamné l’État dans l’affaire Schlumpf a-t-il indirectement posé les bases qui ont permis aux conseils de Monsieur Walter de préparer leur argumentation. L’administration n’a pas véritablement pris au sérieux la cause dans laquelle elle se trouvait entraînée. En conséquence, l’affaire a manifestement été laissée sans maître, dans une inaction aggravée par les antagonismes traditionnels entre la direction du Patrimoine et la direction des Musées de France, la première ayant pour objectif premier de conserver les œuvres en France, même en mains privées, la seconde visant davantage l’enrichissement des collections publiques, y compris grâce aux moyens de négociation offerts par les interdictions de sortie.
La deuxième leçon est sans doute qu’il ne faut pas tomber d’un excès dans l’autre. Si cette jurisprudence sanctionne une certaine désinvolture de l’État, peut-être s’inscrit-elle aussi dans le retour des idées libérales, déjà inscrites en partie dans le nouveau dispositif français de contrôle des échanges de biens culturels.
Le marché doit faire preuve de responsabilité
Mais le marché, qui a ainsi obtenu satisfaction sur certaines de ses revendications, doit sur ce point avoir le triomphe modeste et faire lui aussi preuve de responsabilité. En effet, la décision prise dans l’affaire Walter risque de paralyser toute initiative publique de sauvegarde du patrimoine mobilier. Les conservateurs, qui hésitent à proposer le classement, hésiteront aussi à faire vivre la procédure du certificat qui, malgré ses imperfections, marque un progrès. Le risque est d’enfermer l’État dans le tout ou rien, avec la tentation d’un retour à la "belle époque" du droit régalien.
Évidemment, l’idéal serait de donner à l’administration des moyens financiers accrus pour opérer normalement sur le marché. Les circonstances ne permettent pas de nourrir de tels espoirs, et il est significatif que les propositions du projet de loi sur les musées, visant à supprimer l’indemnisation du classement en échange d’allégements fiscaux, aient été rejetées par Bercy. Et si un projet de loterie inspiré du système anglais permettait de générer des recettes, ne seraient-elles pas rapidement absorbées par les besoins généraux de l’État ?
Il n’y a pas de solution miracle. En quelque sorte, l’affaire Walter invite les professionnels à se montrer plus responsables et plus imaginatifs, et dans un premier temps, à ne pas agir comme ils ont souvent reproché à certains fonctionnaires de le faire : en ignorant les intérêts de leurs interlocuteurs. Faute de quoi, ils risqueront à leur tour de payer le prix du mépris.
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Le prix du mépris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Le prix du mépris