Au moment où Art Paris Art Fair met la création russe à l’honneur, focus sur ce marché un peu à la traîne mais qui s’annonce prometteur.
A la fin des années 1980, le monde occidental découvre la scène contemporaine russe. Le marché mondial s’intéresse à ces artistes dissidents, longtemps brimés par un régime très fort, qui vont s’installer à l’Ouest. Malgré cette vague de curiosité, l’art russe n’a pas décollé comme l’a fait l’art contemporain chinois.
« Le problème de l’art russe est que les grands collectionneurs russes soutiennent les artistes internationaux (américains et européens) », explique le spécialiste Simon de Pury. Consécutivement, les premières galeries d’art contemporain installées en Russie périclitèrent rapidement, comme la First Gallery, qui ferma en 1992, seulement trois ans après son ouverture à Moscou.
Des signes de reprise
Depuis les années 2000, on observe cependant un regain d’intérêt pour l’art contemporain de ce pays, ainsi qu’en témoigne la multiplication d’événements internationaux mettant en exergue la création russe, comme le lancement de la première Biennale d’art contemporain de Moscou en 2005. En 2007, l’Espace culturel Louis Vuitton à Paris a mis en lumière une dizaine d’artistes moscovites dans une exposition intitulée « Moscopolis ». La même année, le group show « Sots Art » sur l’art politique en Russie depuis 1972 a fait le buzz à la Maison rouge : l’accrochage a été amputé d’une vingtaine de pièces tournant en dérision les symboles de la société soviétique et de l’idéologie communiste. Vingt ans après l’éclatement de l’URSS, ces œuvres ont été interdites de sortie du territoire russe, au motif qu’elles constituaient « une honte pour la Russie », selon les autorités étatiques. Fin 2012, Charles Saatchi a invité une poignée d’artistes russes à présenter leurs travaux dans sa galerie londonienne.
Largement sous-cotés, la plupart des artistes russes restent relativement abordables. Mais peut-être pas pour très longtemps. Début 2013, le milliardaire Roman Abramovitch a acheté une collection d’œuvres d’Ilya Kabakov, à qui la France a confié les verrières du Grand Palais pour le prochain Monumenta en 2014. Ces œuvres ont été réalisées avant son départ de Russie, soit la période la plus riche de la carrière de l’artiste. D’après des spécialistes, cet achat aura un effet économique non seulement sur la cotation du peintre, mais sur l’ensemble du marché russe de l’art contemporain.
Ilya Kabakov
Né en 1933 en Ukraine, Ilya Kabakov a été un artiste officiel russe – un illustrateur de livres pour enfants, par stratégie de survie. Dans le même temps, il créait ses propres œuvres qu’il exposait en privé dans son atelier moscovite. Sa première grande exposition personnelle a été organisée en 1985 à la Kunsthalle de Bern. Aujourd’hui, Kabakov, grand nom de l’art conceptuel russe, est devenu l’artiste russe vivant le plus coté avec ce tableau Scarabée, datant de la période soviétique. En russe, un « scarabée » est non seulement une métaphore pour désigner une pierre précieuse, mais aussi une personne maligne qui sait s’enrichir. Depuis 1992, Kabakov travaille aux États-Unis avec sa femme, Emilia. En 2014, pour l’exposition Monumenta à Paris sous la nef du Grand Palais, le couple est invité à produire une œuvre inédite.
Scarabée, 1982, Ilya Kabakov, émaux peints sur panneau de bois, signé, titré et daté en cyrillique sur le châssis, dimensions : 226,5 x 148,5 cm.
Adjugé 2,9 millions de livres sterling (3,9 millions d’euros), le 28 février 2008, Phillips, Londres. Record mondial pour l’artiste.
Kirill Chelushkin
La Galerie Rabouan Moussion a été l’une des premières galeries à promouvoir des artistes russes en France, sous l’impulsion de Jacqueline Rabouan qui, dès la chute du mur de Berlin, part à la rencontre de ces talents venus de l’Est. Notamment Oleg Kulik, Dimitri Tsykalov et Kirill Chelushkin. Né en 1968 près de Moscou, Chelushkin est architecte de formation. Il crée dans un premier temps des projets d’architectures industrielles imaginaires. Il se lance à partir de 2005 dans la sculpture de figures dans d’épaisses plaques de polystyrène blanc. Ces monumentaux « super-héros » de polystyrène font référence aux temps des exploits et des revers de la conquête spatiale russe.
Super Heroes, 2013, Kirill Chelushkin, polystyrène peint, dimensions : 220 x 120 x 40 cm.
Prix : autour de 20 000 euros pièce, Galerie Rabouan Moussion, Paris, Art Paris 2013.
Erik Bulatov
Dans les années 1960, Erik Bulatov (né en 1933 en Russie) est déjà une figure majeure de l’art russe non officiel, en tant que leader de l’art conceptuel russe. Mais c’est à partir de la perestroïka que son œuvre, empreinte de l’héritage avant-gardiste du suprématisme et du constructivisme, acquiert une véritable visibilité. Comme de nombreux artistes, Bulatov a quitté la Russie en 1989, pour gagner New York puis Paris, où il s’est installé depuis 1991. Sa première grande exposition en solo a eu lieu au Centre Pompidou en 1988, après avoir été présentée à la Kunsthalle de Zurich. Aujourd’hui, ses créations figurent dans les plus grands musées internationaux. Et l’artiste est à présent reconnu dans son pays d’origine.
En haut, en bas (A), 2011, Erik Bulatov, crayon sur papier, 30 x 28 cm.
Prix : 20 000 à 25 000 euros, Galerie Pièce unique, Paris, Art Paris 2013.
Alexei Kallima
Alexei Kallima, né en Tchétchénie en 1969, vit et travaille à Moscou. La galeriste parisienne Anne de Villepoix le repère en 2005, lors d’une exposition collective sur l’art contemporain russe à la White Box de New York. Elle montre son travail pour la première fois en Europe en 2007, année où il est également exposé à Paris à l’Espace Louis Vuitton et à la Maison rouge. Kallima se passionne pour le dessin. Il choisit ses champs d’investigation dans les grands mouvements qui déchirent les sociétés. Après un travail sur les guerriers tchétchènes et la violence qui ensanglante sa région natale, il s’intéresse aux supporters dans les matchs de football et aux hooligans, qu’il montre dans de très grands formats, à la manière d’écrans géants.
Les ténèbres sont plus longues que la nuit, 2010, Alexei Kallima, fusain et sanguine sur toile libre, dimensions : 325 x 210 cm.
Prix : 40 000 euros, Galerie Anne de Villepoix, Paris, Art Paris 2013.
L’œil : Depuis quand vous intéressez-vous à l’art contemporain russe ?
Simon de Pury : J’ai toujours été fasciné par l’art contemporain russe (non officiel bien sûr). J’ai tenu le marteau à Moscou en 1988 lors de la première vente aux enchères d’art contemporain russe, que j’ai organisée en ex-Union soviétique chez Sotheby’s, au début de la perestroïka. Une majorité de collectionneurs européens et américains ont acheté des œuvres d’Ilya Kabakov, d’Erik Boulatov et de Grisha Bruskin, des artistes qui ont connu par la suite une grande carrière mondiale. Chez Phillips de Pury, j’ai présenté nombre d’artistes russes – les pionniers et ceux de la nouvelle génération – dans des ventes internationales à Londres et à New York. Le marché de l’art contemporain russe a énormément de potentiel de développement. Les artistes russes sont complètement sous-évalués par rapport à leur talent.
L’œil : Qu’appréciez-vous dans l’art contemporain russe ?
Simon de Pury : J’aime l’art contemporain russe pour son côté identitaire qui est assez présent dans la plupart des œuvres. Les artistes russes font souvent preuve de romantisme. Ils ont un sens de l’humour très développé et utilisent l’ironie. Ils créent avec une originalité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’art contemporain international.
Art Paris Art Fair, du 28 mars au 1er avril 2013 au Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e, www.artparis.fr
« Gaiety Is the Most Outstanding Feature of the Soviet Union », exposition sur l’art contemporain russe à la Saatchi Gallery, Duke of York’s HQ, King’s Road, Londres, jusqu’au 9 juin 2013, www.saatchi-gallery.co.uk
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Le jour où l’art russe s’éveillera…
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : Le jour où l’art russe s’éveillera…